MES FOUS 289 LES TROIS VENGEANCES Dans la retraite du docteur X , retraite aristocratique pour ceux dont l’activité mentale a été trop ardente, trois hommes, après une causerie au hasard de la pensée, s’ avouaient devant moi avoir trouvé la source la plus impétueuse des joies. « Je fus unêtre débonnaire, disait le plus âgé, jusqu’au jour de l’irruption dansmon cerveau de l’idée de vengeance. J’ avais épousé une femme qui m’avait apporté avec le charme des gestes le suave despotisme de la beauté. A peine pouvais-je lui adresser le reproche d’ agir trop insoucieuse des goûts de ma vie antérieure. Un jo ur, je la surpris, chair nue et heureuse sous la ru é ed ’un domestique. Les yeux fermés, à genoux, elle attendait la mort. Doucement, je la relevai. Dans son cabinet de toilette je lui fis respirer do force le flacon d’éther de ses migraines. La ricanante domesticité congédiée, je télégraphiai à quelques louches agences. Bientôt m’arrivait une forte fille, heureuse de quitter une vie de misère, qui joua son rôle avec esprit et fermeté. « Dans la chambre de l ’épouse d’hier, une table de travail, une couchette puérile. La fierté, arrachée comme un vêtement volé, l’ infidèle vacillait d’ une ivresse d’épouvante. La grâce des lèvres, la noblesse des attitudes, tout l être de chair et de cœur définitivement figé. Ses mains transparentes et fuselées accom plissaient de monotones devoirs. Accoudée sur le bord de la fenêtre écoutait-elle les souvenirs d’ autrefois, ma tourmen- teuse gagée entrait en institutrice et de la férule indiquait le coin de la pièce où, le tablier noir noué à la taille, la chevelure sur le dos, la jupe courte découvrant les mollets nus, elle devait subir, humble écolière, l’ignominieuse punition. « Pendant des années, nous parcourûmes tous trois une partie de la terre. Les étrangers s’étonnaient de sa figure de silence. Pour un mot trop net,, pour un regard trop clair, elle rega gnait la chambre d’hôtel d’ où s’échappaient sous la morsure du fouet des gémissements. Dans les villes amoureuses et chantantes, je promenai son corps amaigri et de suppliante soumission. « Elle mourut avec une âme d’ enfant, une poupée entre les bras. » Les deux hommes avaient écouté sans manifester aucun 19
