qui m’est coutumière, je pris soin d’y éviter de nouveau le
mot « moi », non point pour écrire cette fois-ci encore
Schopenhauer et Wagner, mais pour prêter un rayonnement de gloire
historique à l’un de mes amis, l’excellent docteur Paul Rée…
C’était heureusement une bête beaucoup trop maligne pour
tomber dans le panneau. D’autres furent moins subtils. J’ai
toujours reconnu ceux de mes lecteurs dont il faut désespérer
— par exemple le caractéristique professeur allemand — à
ceci qu’en s’appuyant sur ce passage ils croyaient pouvoir
interpréter le livre tout entier comme du Réealisme supérieur.
À vrai dire, il était en contradiction avec cinq ou six
propositions de mon ami. Que l’on lise à ce sujet la préface de la
Généalogie de la Morale.
Voici le passage dont je veux parler :
« Qu’est-ce après tout que le principe auquel est arrivé un
des penseurs les plus audacieux et les plus froids, l’auteur du
livre De l’origine des sentiments moraux (lisez : Nietzsche,
le premier immoraliste), grâce à son analyse incisive et
tranchante des actions humaines ? « L’homme moral n’est pas plus
près du monde intelligible que l’homme physique — car il n’y
a pas de monde intelligible… » Cette proposition, née avec
sa dureté et son tranchant, sous le coup de marteau de la
science historique (lisez Transmutation de toutes les valeurs),
pourra peut-être enfin, dans un avenir quelconque, être la
hache qui sera mise à la racine du « besoin métaphysique » de
l’homme, — si c’est plutôt pour le bien que pour la
malédiction de l’humanité, qui pourra le dire ? mais en tout cas
elle reste une proposition de la plus grande conséquence,
féconde et terrible tout à la fois, regardant le monde avec ce
double visage qu’ont toutes les grandes sciences…{{lié}[1]. »
Avec ce livre commence ma campagne contre la morale. Non point que l’on y sente le moins du monde l’odeur de la poudre. On lui trouvera, au contraire, de tout autres sen teurs, un parfum bien plus agréable, pour peu que l’on ait quelque délicatesse de flair. Il n’y a pas là de fracas d’artille-
- ↑ Humain, trop humain, aph. 37.