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Page:Mercure de France - 1891 - Tome 2.djvu/26

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JANVIER I89I

Le Temps n’a pu fléchir la courbe de mes seins. Je suis toujours debout et forte dans l’épreuve, Moi, l’éternelle vierge et l’éternelle veuve Que la guerre a bercée aux clameurs des tocsins.

O Faust ! je viens à toi du sein profond des Mères. Pour toi, j’ai vaincu l’ombre pâle où des Chimères Tragiques et les Dieux roulent ensevelis.


J’apporte à ton désir, dû fond des jours antiques, Ma gorge, dont le Temps n’a pas vaincu les lis, Et ma voix assouplie aux rhythmes prophétiques.

En résumé, l’œuvre de Tailhade est considérable j’y insisté, à l’adresse surtout de ces gens de lettres qui vont encombrant les comptoirs de librairie de leurs intarissables productions mort-nées, et qui affectent de priser un confrère au poids de ses volumes. En dépit de ses trois livres, le poète est jeune encore (il n’a que trente-cinq ans), et c’est une sorte d’Achille tout bouillant de projets. Il ne m’appartient pas de dire quelles affres poignantes ont blanchi ses cheveux et ridé sa tempe avant l’heure, mais j’ai bien le droit de Rappeler que la vie fut dure à ce délicat. Si sa voix longtémps fut silencieuse, c’est qu’elle était étouffée de trop d’orages. Ce n’est pas de tous et c’est tant mieux ! que l’on peut dire : Impavidum ferient ruinez.

7 Ernest Raynaud