Aller au contenu

Page:Mercure de France - 1891 - Tome 2.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
JANVIER 1893

Et c’est ainsi que la plus sainte des épouses se trouve, en stricte morale, ravalée au rang de la plus vile des créatures. De ces constatations de graves conclusions sociales doivent être tirées.

Car de deux choses l'une : Ou l’homme aime plus et mieux que la femme : il a plus faim qu’elle d’amour, et ainsi que dans tout échange où l’offre et la demande ne sont pas équivalentes il lui faut payer cet excès de passion. Mais alors, la femme n’est plus qu’une marchandise, c’est une esclave sujette à la traite, et puisqu ’ elle se fait acheter elle se dénie le droit de disposer librement d’elle-même. Alors, c’est une espèce inférieure, soumise à la suprématie de l'homme, sa propriété, indigne de la qualité de personne morale, dont les trahisons peuvent être châtiées suivant le bon plaisirvdu maître, et qui doit être séquestrée dans les harems comme des chevaux à l’écurie. Ou la femme en est réduite à se vendre par la faute de l’homme, qui ne lui laisse pas prendre dans la société la place qu’elle est capable de tenir. Ecartée systématiquement de tous les emplois par lesquels l’homme crée la richesse, repoussée de tous les métiers, reléguée hors des industries, des commerces, des exploitations du sol, vouée uniquement aux occupations improductives, elle s’est trouvée dans la situation de ces Juifs du moyen-âge, qui, se voyant fermer tous les accès aux vocations loyales, se sont rués dans la seule voie restée ouverte, et, de même qu’ils se sont mis à trafiquer de l’argent, elle a entrepris de trafiquer de l’amour. Alorsj une réforme importante de la société s’impose. La femme doit être, mise sur le même pied que l’homme, dotée des mêmes libertés, munie des mêmes moyens de produire. Rendue à sa dignité d’être humain, elle se hâtera de conquérir lap lus noble des indépendances, celle qui fera d’elle l’égale respectée de celui qui a maintenant le droit et le devoir de la mépriser. Et l’amour sera enfin l’amour, c’est-à-dire la fréquentation désintéressée des sexes pour l’engendrement réciproque des joies suprêmes de l’existence.


Louis Dumur.