Page:Mercure de France - 1896 - tome 18.djvu/53

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de voyage, je suis devant l’agneau pascal. Et toi, race usée, dont la vue étroite est fermée à la terre promise par delà la fuite du désert de sable, toi, esclave du temps, laborieux et soumis, maçonne la tombe royale en pyramide ; — je vais à la liberté à travers le désert des jours, pour moi la sortie est même dans le reflux de la mer ; mais la puissance de l’ennemi, la rusée doctrine du mensonge, y trouvera son tombeau, profond et sombre ! (Court silence ; il la regarde et lui prend la main.) Tu es si tranquille, Svanhild !

Svanhild

. — Et si joyeuse ! Oh, laisse-moi rêver,

laisse-moi tranquillement rêver. Parle pour moi ; ils s’ouvrent, l’un après l’autre, les bourgeons de ma pensée, jaillissant en chanson, comme les lis mûris s’ouvrent sur l’eau du lac.

Falk

. — Non, dis encore, avec la voix pure, indécevante

de la vérité, que tu es à moi ! Oh dis-le, Svanhild, dis —

Svanhild

(se jette à son cou). — Oui, je suis à toi !

Falk

. — Ô, oiseau-de-chant, envoyé par Dieu pour

moi seul !

Svanhild

. — J’étais une abandonnée dans la maison

de ma mère, j’étais une isolée au-dedans de moi-même, un hôte inattendu dans la splendeur et le bruit de la joie, — là je n’étais rien — parfois même encore moins. Et puis tu es venu ! Pour la première fois sur terre, j’ai trouvé ma pensée dans la parole d’un autre ; ce que je rêvais confusément, tu savais l’exprimer, toi, intrépide de jeunesse parmi les vieillards de la vie ! Tantôt tu me repoussais, l’esprit tranchant, tantôt tu savais m’attirer, comme un rayon de soleil ; telle la mer est entraînée sur un rivage fleuri, et l’écueil repousse les flots. Maintenant j’ai vu le fond de ton âme, maintenant tu me possèdes tout entière ; ô toi, arbre au-dessus des vagues qui se jouent, toi cher, le flux est monté dans mon cœur, qui n’aura jamais de reflux !

Falk

. — Et remercié soit Dieu, qui a baptisé mon

amour dans le bain de la douleur. Je savais à peine moi-même quel besoin me poussait avant que, douloureusement, je visse en toi quel trésor je perdrais. Oui, loué soit-il, lui qui pour ma vie à venir, a anobli mon amour du sceau de la douleur, qui nous a donné nos lettres de franchise, pour notre cortège triomphal, et nous a offert la chasse lointaine, par les nobles forêts, en selle sur le cheval ailé !

Svanhild

(indique la maison). — Là il y a fête dans