Page:Mercure de France - 1896 - tome 18.djvu/54

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toutes les pièces, ces lumières brillent pour les deux jeunes gens, on entend les chants et les conversations des amis joyeux. Du chemin chacun pourrait croire que là est le bonheur, — parmi ces voix joyeuses. (Compatissante.) Heureuse enfant du monde, — ô pauvre sœur !

Falk

. — Tu dis pauvre ?

Svanhild

. — N’a-t-elle pas partagé l’or de son âme

entre lui et tous les amis, remis son capital entre cent mains, en sorte que personne ne lui doit la somme totale ? D’aucun d’eux elle ne peut tout exiger, il n’y a aucun d’eux pour qui elle puisse vivre toute. Oh je suis dix fois plus riche qu’elle ; j’ai un seul au monde seulement. Vide était mon cœur, lorsqu’avec des drapeaux de victoire, avec ton chant aux mille plis, tu vins ici ; là, tu gouvernes sur tous les chemins de la pensée ; comme un parfum de printemps tu remplis mon être. Oui, je dois remercier Dieu en cette heure, de ce que j’ai été solitaire jusqu’au moment où j’ai trouvé, — de ce que j’étais morte, et ai entendu la cloche sonner, qui m’appelait vers la lumière, hors des frivolités de la vie.

Falk

. — Oui, nous, les deux sans amis dans le monde,

nous sommes les riches ; nous avons le trésor du bonheur, nous, qui sommes en dehors et regardons l’action à travers la vitre, dans la nuit tranquille ; que les lampes brillent et que les voix raisonnent, que là ils tournent en dansant ; vois là-haut, Svanhild, — là-haut dans le bleu ; — là brillent aussi mille petites lampes —

Svanhild

. — Écoute doucement, bien-aimé, — dans

la fraîcheur du soir se répand dans le feuillage du tilleul une harmonie —

Falk

. — C’est pour nous qu’elles brillent tout là-haut —

Svanhild

. — C’est pour nous qu’il chante par la vallée !

Falk

. — je me sens comme l’enfant prodigue de Dieu ;

je l’ai abandonné et j’ai été me prendre aux filets du monde. Alors il m’a fait signe vers la maison, de ses douces mains ; et maintenant, j’arrive, maintenant il allume la lampe, prépare la fête pour le fils retrouvé, et m’offre son meilleur ouvrage. De cette heure, je jure de ne pas déserter, — et de rester debout, garde armée dans le camp de la lumière. Nous marchons ensemble, et notre vie chantera un cantique triomphal sur la victoire de l’amour !