Page:Mercure de France - 1896 - tome 18.djvu/62

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Styver

. — Suivons donc en paix le grand chemin ;

nous ne te fermerons pas l’accès des sentiers, nous suivons la rue, tu planes sur les hauteurs. Hm, nous nous y sommes élancés aussi, elle et moi, jadis ; mais l’exigence du jour est travail, non chanson, — et l’on en meurt, à mesure que l’on vit. Vois, la vie de jeunesse est une grande cause, et la plus superflue des querelles ; — cherche un arrangement, et ne pense à aucun recours ; car tu perds l’affaire devant tous les tribunaux.

Falk

(hardi et confiant, en jetant un regard du côté

du pavillon). — Non, s’il faut enfin venir au dernier jugement, — je sais, qu’il y a une grâce après le jugement ! Je sais qu’une vie peut être vécue à deux, avec le plus libre enthousiasme et une foi sans retour ; mais toi, tu proclames la misérable doctrine du temps : que l’idéal est secondaire !

Styver

. — Non, le plus important ; car sa mission est

remplie, comme la mission de la fleur — quand le fruit apparaît. (À l’intérieur, Mlle Skære joue au piano et chante : « Ach du lieber Augustin ». Styver s’arrête et écoute, doucement ému.) Elle m’appelle avec la même chanson qu’elle chantait, quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois. (Il pose la main sur le bras de Falk et le regarde les yeux dans les yeux.) Chaque fois qu’elle rappelle cette chanson à la vie, c’est comme s’il sortait des accords de ma fiancée une confirmation nouvelle du premier oui. Et quand notre amour un jour prendra fin et se mourra, pour revivre en amitié, la chanson sera le lien entre avant et alors. Et si mon dos se courbe à force sur le pupitre, et si ma tâche journalière n’est plus qu’une lutte contre la faim, je rentrerai pourtant joyeux à la maison où les choses évanouies éclateront en musique. Si une fugitive heure du soir est à nous complètement, — je serai sorti sans dommage du jeu !

(Il entre dans la maison. Falk se tourne vers le pavillon, Svanhild sort ; elle est pâle et excitée. Ils se regardent un instant l’un l’autre en silence et se jettent brusquement dans les bras l’un de l’autre.)

Falk

. — Ô Svanhild, supportons fidèlement tout !

Toi, fraîche fleur de plein air en ce cimetière, — tu vois ce qu’ils appellent vie au printemps ! Cela sent le cadavre des nouveaux mariés ; cela sent le cadavre, là où deux s’en vont par les coins des rues, souriants des lèvres, avec l’étouffante tombe de chaux du mensonge au-dedans, avec l’atonie de la mort dans toutes leurs