Page:Mercure de France - 1896 - tome 18.djvu/68

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s heures, c’était pourtant vérité. C’étaient vos paroles, lorsque vous étiez là, seul contre tous, et frappiez sur toute la société réunie pour le thé. Là résonnait la négation de tous côtés, comme maintenant elle vient de vous ; oui, cela se conçoit aisément ; nous trouvons tous que cela sonne mal, d’entendre nommer la mort quand nous sommes malades. Voyez le prêtre, lui qui a composé, peint, dans ses jours de liberté, avec esprit et goût ; — comment pouvez-vous vous étonner qu’il se soit abaissé, lorsque lui et elle sont venus sous le même toit ? Elle était faite pour être son amante, — comme épouse pour lui elle n’avait nullement été faite. Et de même l’employé, qui écrivait de bons vers ? Dès que mon homme fut fiancé au nom de Dieu, toutes les rimes se mirent de travers, et depuis lors sa muse a dormi, bercée au bruit de son éternel droit. Vous voyez — — (Il regarde Svanhild.) Vous avez froid ?

Svanhild

(doucement). — je n’ai pas froid.

Falk

(s’efforce de prendre un ton moqueur). — Et

quand jamais à la fin il ne resterait un actif, mais un passif seulement,— pourquoi voulez vous risquer le capital dont vous disposez dans une si peu avantageuse loterie ! Il semble presque que vous ayiez la croyance que vous avez été fait surtout pour la banqueroute ?

Guldstad

(le regarde, sourit et hoche la tête). — Mon

fier jeune Falk, — gardez-vous de la plaisanterie. — De deux manières un couple peut s’installer. On peut prendre comme base le crédit de l’illusion, les lettres de change à long terme sur une ivresse éternelle, sur la permanence de l’âge de 18 à 19, et sur l’impossibilité de la goutte et du tabac à priser ; — on peut se baser sur les joues roses, les yeux clairs et les longs cheveux, sur la foi confiante que rien de tout cela ne s’efface, et que le temps de la perruque jamais ne vient. On peut se baser sur des pensées pleines de sentiments, sur l’épanouissement dans la poussière desséchée du désert, sur des cœurs qui à travers tout le cours d’une vie, battent, comme lorsque le premier oui a été dit et entendu. Comment s’appelle pareil trafic ? Vous connaissez le nom ; — cela s’appelle boniment, — boniment, chers amis !

Falk

. — Maintenant je puis juger que vous êtes un

dangereux tentateur, — vous, l’homme de bien-être ; peut-être millionnaire, tandis que tout ce qui m’appartient en ce monde, a pu être enlevé par deux artilleurs.