Aller au contenu

Page:Mercure de France - 1899 - Tome 32.djvu/613

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
614
mercvre de france—xii-1899


viii

VENDREDI SOIR


De toutes les choses étranges et merveilleuses qui arrivèrent ce vendredi-là, la plus extraordinaire à mon esprit fut la combinaison des habitudes ordinaires et banales de notre ordre social avec les premiers débuts de la série d’événements qui devaient jeter à bas ce même ordre social. Si, le vendredi soir, prenant un compas, vous eussiez décrit un cercle d’un rayon de cinq milles autour des carrières de Woking, il est douteux que vous ayez pu trouver, en dehors de cet espace, un seul être humain — à moins que ce ne fût quelque parent de Stent, ou des trois ou quatre cyclistes ou des gens venus de Londres dont les cadavres étaient demeurés sur la lande — qui eût été en rien affecté dans ses émotions et ses habitudes par les nouveaux venus. Beaucoup de gens, certes, avaient entendu parler du cylindre, en avaient même causé à leurs moments de loisir, mais cela n’avait certainement pas produit la sensation qu’aurait soulevée un ultimatum à l’Allemagne.

À Londres, ce soir-là, le télégramme du malheureux Henderson, décrivant le dévissage graduel du projectile, fut reçu comme un canard, et le journal du soir auquel il avait été adressé — ayant sans obtenir de réponse télégraphié pour une confirmation de la nouvelle — décida de ne pas lancer d’édition spéciale.

Même dans ce cercle fictif de cinq milles, la majorité des gens restait indifférente. J’ai déjà décrit la conduite de deux, hommes et femmes, auxquels je m’étais adressé. Dans tout le district, les gens dînaient et soupaient ; les ouvriers jardi-