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la guerre des mondes

naient après les travaux du jour ; on couchait les enfants ; les jeunes gens erraient amoureusement par les chemins et les savants compulsaient leurs livres.

Peut-être y avait-il dans les rues du village un murmure ; un sujet de causerie nouveau et absorbant, dans les tavernes ; ici et là un messager, ou même un témoin des derniers incidents occasionnait quelque agitation, des cris et des allées et venues. Mais presque partout sans exception, la routine quotidienne : travailler, manger, boire et dormir, continuait ainsi que depuis d’innombrables années – comme si nulle planète Mars n’eût existé dans les cieux. Même à Woking, à Horsell et à Chobham, tel était le cas.

À la jonction de Woking, tard dans la nuit, les trains s’arrêtaient et repartaient, d’autres se garaient sur les voies d’évitement, les voyageurs descendaient et attendaient et toutes choses suivaient leur cours ordinaire. Un gamin de la ville, empiétant sur le monopole du concessionnaire des bibliothèques de chemins de fer, vendait des journaux renfermant les nouvelles de l’après-midi. Le vacarme des trucks, le sifflet aigu des locomotives, se mêlaient à ses cris de : L’arrivée des habitants de Mars. Des groupes agités envahirent la station vers neuf heures, racontant d’incroyables nouvelles et ne causèrent pas plus de trouble que des ivrognes n’auraient pu faire. Les gens en route vers Londres cherchaient, à travers les fenêtres des wagons, à apercevoir quelque chose dans les ténèbres du dehors et voyaient seulement de rares étincelles scintiller et s’élever en dansant dans la direction de Horsell, puis disparaître ; une lueur rougeâtre et une mince traînée de fumée se prome-