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la guerre des mondes

rien mangé depuis midi, m’avait-il dit au début de son récit, et je trouvai à l’office un peu de pain et de mouton que j’apportai dans la salle à manger. Nous n’allumâmes pas de lampe, de crainte d’attirer les Marsiens, et à chaque instant nos mains s’égaraient à la recherche du pain et de la viande. À mesure qu’il parlait, les objets autour de nous se dessinèrent obscurément dans les ténèbres et les arbustes écrasés et les rosiers brisés de l’autre côté de la fenêtre devinrent distincts. Il semblait qu’une troupe d’hommes ou d’animaux eût passé dans le jardin en saccageant tout. Je commençai à apercevoir sa figure, noircie et hagarde, comme aussi devait l’être la mienne.

Quand nous eûmes fini de manger, nous montâmes doucement jusqu’à mon cabinet, et de nouveau j’observai ce qui se passait, par la fenêtre ouverte. En une seule soirée, la vallée avait été transformée en vallée de ruines. Les incendies avaient maintenant diminué ; des traînées de fumée remplaçaient les flammes, mais les ruines innombrables des maisons démolies et délabrées, des arbres abattus et consumés, que la nuit avait cachées, se détachaient maintenant dénudées et terribles dans l’impitoyable lumière de l’aurore. Pourtant, de place en place, quelque objet avait eu la chance d’échapper — ici un signal blanc sur la voie du chemin de fer, là, le bout d’une serre claire et fraîche au milieu des décombres. Jamais encore, dans l’histoire des guerres, la destruction n’avait été aussi insensée ni aussi universelle. Scintillants aux lueurs croissantes de l’orient, trois des géants métalliques se tenaient autour du trou, leur tête tournant incessamment, comme s’ils surveillaient la désolation qu’ils avaient causée.