Page:Mercure de France - 1904 - Tome 52.djvu/615

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
605
LE POUVOIR RELIGIEUX AU THIBET

Du cadre des récits fabuleux émerge, tout à coup, un de ces politico-religieux aux convictions peu étroites, peu précises… un ambitieux poursuivant le triomphe de sa secte et qui, fin connaisseur des hommes, passablement sceptique et très adroit, évite de heurter trop violemment leurs habitudes anciennes, s’accommode de leurs mœurs et même de leurs dieux que, selon les circonstances, il rattache à son système ou se donne pour garants.

Saint Paul n’en usa guère autrement envers les Athéniens lorsqu’ayant découvert, chez eux, un autel dédié à un dieu inconnu, il s’empressa de leur déclarer que le dieu qu’il leur annonçait était précisément celui-là. Les Jésuites, prêts à permettre aux Chinois de conserver, tout en devenant chrétiens, leur culte national au « Ciel », sous prétexte que ce ciel était la demeure du dieu qu’ils leur prêchaient et tant d’autres, enfin, ont largement pratiqué la même méthode ; mais aucun d’eux, sans doute, avec autant de hardiesse que Padmasambhava.

Le Padma-tanyig (ouvrage consacré à la biographie de Padmasambhava) renferme, parmi de pittoresques descriptions, de curieux détails sur la façon de procéder du grand apôtre. Je ne puis mieux faire que d’en citer quelques fragments :

« Nous trouvons dans le pays de Djamboumale environ seize millions de villes. Au milieu du pays s’élève l’arbre nommé Djambouvriksha[1], il est comme l’axe du Djamboudvîpa[2] méridional ; sa hauteur est de quatre mille « tours », il est immense. Il compte seize branches principales, le nombre des petites dépasse toute imagination. Ses feuilles sont molles comme la soie la plus fine et d’un gris rougeâtre. Sa fleur brille comme l’or. Son fruit a de nombreux noyaux de la grosseur d’un œuf d’oie et de différents goûts très agréables. Son jus est jaune et coule comme le beurre fondu. Il guérit toutes les maladies… Les habitants de la contrée se nourrissent des fruits de l’arbre. Leur roi est un déva (dieu), il ap-

  1. L’arbre Djambou de la cosmogonie hindoue.
  2. L’Inde.