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MERCVURE DE FRANCE—XII-1904

un bonnet rouge (d’où les désignations familières d’Église jaune et d’Église rouge).

Le corps du réformateur, conservé dans une châsse d’or, est toujours vénéré dans le couvent de Ga-ldan. Les très nombreux pèlerins, dévots à la mémoire du saint, se rendent aussi au lieu de sa naissance où s’élève la merveille des merveilles, l’arbre aux cent mille images.

Deux légendes ont cours à son sujet : d’après l’une, cet arbre aurait abrité la maison dans laquelle Tson-ka-pa vit le jour ; selon la seconde, il est né des cheveux que le grand docteur se coupait et jetait à terre. Quelle qu’en soit l’origine l’arbre — un sandalier blanc — porte, dit-on, sur chacune de ses feuilles l’image du Bouddha Simhanâda (le Bouddha à la voix de lion représenté assis sur un lion couché) ou la formule magique (dhâranî) par laquelle on le conjure (la Simhanâdadhâranî).

Depuis cinq siècles, la foi en ce prodige se maintient vivace. Des multitudes, appartenant aux races les plus diverses, se sont succédé sur le lieu du miracle et pas une seule voix ne s’est élevée pour démentir l’existence des images imprimées sur les feuilles merveilleuses. Il s’agit, cependant, semble-t-il, d’un fait bien simple à contrôler et, tous ceux qui ont fait le pèlerinage affirment énergiquement avoir vu de leurs yeux et touché de leurs mains les empreintes mystérieuses. Le fanatisme, pourra-t-on penser, crée bien des illusions… Or, voici que des Occidentaux, des incroyants, pis encore, des adversaires, par profession, des superstitions thibétaines, des missionnaires catholiques[1], joignent leur témoignage à celui des dévots lamaïstes. Ils ont vu l’arbre de Kou-boum (cent mille images) et tiennent sur lui les mêmes propos étranges que j’entendis tomber, un soir, des lèvres d’un très vieux lama, devant un petit temple campagnard dont l’humble silhouette se détachait sur le fond majestueux des cimes du Kintchindjinga.

De toutes les réformes de Tson-ka-pa, peu de chose devait rester. De son vivant même, il lui fallut se rési-

  1. Huc et Gabet.