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Page:Mercure de France - 1er septembre 1920, tome 142, n° 533.djvu/33

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ne fût-ce que la presse bolchéviste, sait qu’en réalité, les Bolchéviks n’ont jamais possédé la Russie. Ce qui leur était soumis, c’étaient les grandes villes dont la population terrifiée par des représailles sanglantes supportait son sort plus ou moins silencieusement ; mais la campagne, c’est-à-dire les neuf-dixièmes de la Russie, n’a jamais été au pouvoir des Bolchéviks. Elle vivait de sa vie propre au jour le jour, sans doute, mais sans aucune autorité centrale. Jusqu’à quel point l’autorité du gouvernement bolchéviste s’étendait peu sur la campagne, le meilleur témoignage s’en trouve dans les articles qu’a publiés dans les journaux de Kieff le commissaire ukrainien du ravitaillement, Schlechter, très dévoué aux idées communistes, bien que, il faut l’avouer aussi, homme fort obtus et fort incapable. Ses articles, très longs et très circonstanciés, ont été publiés pendant deux mois presque tous les jours dans la presse locale ; cet homme n’écrivait pas, il vociférait. Et il vociférait toujours la même chose : « La campagne ne donne pas de pain, elle ne donne pas non plus de bois ni de grains… Elle ne donne rien ! Ouvriers, si vous ne voulez pas mourir de faim et de froid, armez-vous et allez faire la guerre à la campagne, autrement vous n’obtiendrez rien ! »

Si ce langage eût été tenu par quelqu’un d’autre, on pourrait le soupçonner d’être un agent provocateur. Mais Schlechter est au-dessus d’un tel soupçon. La vérité, c’est que, Cosaque d’origine, malgré son nom allemand, il ne savait pas dissimuler son sentiment et sa pensée intimes. Ce qu’il avait en tête lui sortait de la bouche. Je crois que, si ses camarades étaient sincères, il serait depuis longtemps évident que le gouvernement des ouvriers et des paysans n’a pas su gagner les sympathies des ouvriers ni celles des paysans et que les idées communistes, quelles qu’elles soient par elles-mêmes, ne rencontrent aucun acquiescement dans les larges masses de la population. La vieille bourgeoisie n’a pas su, il est vrai, se défendre ; elle est à terre. Mais non seulement, je le répète, la bourgeoisie n’est