Page:Meredith - L’Égoïste, 1904.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
L’ÉGOÏSTE

vous regardait, cela venait, s’attachait à vous, plus indélébile que tout ce qui peut être littéraire. Elle avait dit de Lætitia Dale : « La voici qui s’amène ; elle porte un roman à ses cils » et c’était un portrait de Lætitia. Et de Vernon Whitford : « C’est un Phébus Apollon tourné à l’ascète » et cela peignait l’éclat sombré du flâneur maigre.

Son mot de Willoughby fut bref ; le mérite en éclatait par la solennité du jour, où, depuis le lever du soleil jusqu’au coucher de la lune, il n’avait entendu que des salutations en son honneur, des chants de louange, des éloges cicéroniens. Riche, beau, courtois, généreux, seigneur du château, par la fête et la danse, il incitait ses hôtes des deux sexes à le flatter. Et pendant que tout autour de lui bruissaient les grandes phrases, Mrs Mountstuart avait murmuré : « Quelle jambe ! »

Voilà ! Mrs Mountstuart avait dit cela comme toute autre banalité, sans se donner la moindre importance. Mais le mot fut ramassé, fit le tour du salon. Lady Patterne envoya une jeune Hébé s’enquérir auprès des danseurs, et même les lèvres indifférentes d’une ingénue ne purent en atténuer la redoutable fidélité. Auprès du trait de Mrs Mountstuart, tout parut banal, l’adulation de la beauté et du savoir de Sir Willoughby, son maintien aristocratique, ses vertus ; semblant avoir dit beaucoup moins que n’importe qui, elle avait dit beaucoup plus ; comme Miss Isabel Patterne le fit remarquer à Lady Busshe, Mrs Mount-