Aller au contenu

Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

lui baisa les doigts, avec un : « Fiez-vous à moi », qui contraignit Clotilde à noyer ses frissons dans une confiance aveugle et un total abandon.

— Connaissez-moi donc mieux ! tel était le cri d’alarme qu’elle eût voulu lancer, tant qu’il était temps encore de fuir la maison et de passer, sans la franchir, devant la porte fatale. Pour sincère que fût sa passion, elle savait la fragilité du vase qui la contenait, mais retrouvait en elle un vestige de son exaltation (vite muée en désespoir) qui lui laissait l’illusion de se confondre avec l’homme qu’elle admirait, dans son orgueil superbe et triomphant.

Un tel état de confiance aveugle et de total abandon risque de dégrader la volonté et de faire de l’esprit qu’il avilit une récompense médiocre pour le vainqueur. Abdiquer sa personnalité pour chercher peureusement auprès d’un autre un abri contre les tempêtes, c’est, en fait, manquer à sa foi en cet autre et se vouer au génie de la Force, sous quelque forme et dans quelque sens qu’il se manifeste. Fermer les yeux devant le danger, c’est se donner en proie et renoncer à son libre arbitre.

Voyez-la s’avancer. Si son héros est abattu, si elle doit souffrir de sa défaite et de la confiance qu’elle avait mise en lui, son aveuglement lui fera l’effet d’une vertu sublime et elle n’y reconnaîtra point la déplorable faiblesse qui demandait protection à un vain déploiement de force surhumaine. Le surhumain, elle considérera, tant que dureront ses épreuves, qu’en y prétendant, il a trompé sa légitime attente : surhumain, il ne l’était qu’en Juiverie, ce démocrate qu’elle avait songé à épouser. Pour se mettre en paix avec leur conscience,