Aller au contenu

Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

les pusillanimes cherchent à se consoler, faute de pouvoir se justifier. L’amour qu’elle lui portait, par cela même qu’il répondait à la superbe d’Alvan, était lié au succès. Clotilde était prête à fuir avec lui et à l’aimer fidèlement, mais elle pouvait estimer, non sans raison (bien qu’à vrai dire, la froide raison ne fût peut-être pas de mise en l’espèce), que refuser la fuite pour affronter la lutte, c’était faire de leur amour l’enjeu du succès. Soulever la tempête et courroucer la destinée, c’était la livrer aux furies, et la raison, la plus froide raison, toujours chère, aux heures d’épreuve, aux cœurs lâches, lui souffle qu’en jetant les dés du joueur, il obéissait plus à son outrecuidante foi en sa chance qu’à son amour de l’enjeu. La froide raison des poltrons a de singulières perspicacités et sait découvrir le nœud de la vérité. Si clair est son coup d’œil que, si ce nœud résumait tout l’homme, il suffirait, en face d’une crise, de nous transformer en poltrons pour déchiffrer du premier coup un cœur, et pour stupéfier le Sphinx de la vie par une épigramme qui livrerait le secret de sa plus mystérieuse créature. Mais la nature d’Alvan présentait des replis que ne pouvait pénétrer la perspicacité la plus claire d’une fille timorée, comme le monde a des mystères à quoi ne peuvent atteindre les plus aiguës des épigrammes.

— Courage ! dit-il, et Clotilde, toute tremblante, répondit :

— Soyez prudent.

Ils étaient maintenant en présence de la mère et de la sœur de Clotilde. À la fenêtre, la sœur, insignifiante créature, baissait la tête. La mère, debout au milieu du salon, fronçait les sourcils d’un air