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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/134

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Chose incroyable et pourtant trop évidente : il était parti ! la pièce était vide, sombre et silencieuse comme une prison.

— Il ne veut pas de toi ; c’est pour te renier plus facilement qu’il te livre à eux.

Ces mots, elle les prononça à mi-voix, dans un gémissement, avec un regard sur sa mère que son triomphe faisait haleter et laissait inexorable, sur sa sœur qui baissait la tête, sur Mme Emerly, debout près de la fenêtre.

Instinctive et rapide comme le vol du lynx des cavernes vers la lumière, sa lâcheté lui souffla qu’elle était abandonnée et qu’une pleine soumission lui vaudrait seule la paix.

Et voici son raisonnement : si Alvan l’avait prise, elle n’eût été coupable, en fuyant avec lui, que d’un de ces coups de tête qui sont tout à la gloire de l’amour quand le mariage les sanctionne. En la repoussant, en l’abandonnant, il faisait d’elle non plus seulement une fille folle, mais une réprouvée. Son départ subit n’était pas plus naturel que le rôle qu’il avait assumé. Mais il ne l’en avait pas moins assumé, et il laissait du même coup Clotilde à la merci de ceux qui pouvaient la relever. Son humiliation et sa terreur l’empêchaient de voir plus loin que l’heure présente, et de ce cercle rétréci, elle jugeait Alvan à la mesure de sa pitié pour elle-même et l’accusait, au nom de sa propre couardise, d’avoir agi sans discernement. Ballottée par les flots d’un naufrage moral, elle voyait, dans la folle témérité de cet homme à braver une puissance supérieure à la sienne, une égoïste cruauté à l’égard de la femme qui avait, pour l’amour de lui, renoncé à tout, et s’était, en son nom, lancée dans l’abîme des