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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/135

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

tempêtes. Elle se sentait si seule, pour flotter ou pour sombrer ! Alvan était parti. L’homme qui épanchait sa fureur dans la pièce, qui proférait des menaces contre son « infâme amant, ce sale Juif, ce voleur fieffé, ce gredin, ce gibier de potence », qui lançait des injures affreuses et impossibles à transcrire, c’était son père. Comment il était arrivé, elle n’en savait rien. C’est à lui qu’Alvan la livrait.

Les insultes qui pleuvent sur un amant n’ont en général d’autre effet que de rehausser ses mérites aux yeux de la femme qui l’aime. Mais si l’amante a le cœur faible et doit subir la honte par la faute de l’homme qui lui paraît cruel, elle perd parfois la notion des choses et courbe la tête comme une fleur brisée. Son premier reproche : « Si vous aviez été plus prudent, ceci ne serait pas », cède bientôt la place à cette réflexion muette : « S’il avait été plus fidèle ! » Cette accusation n’implique pas nécessairement la croyance à la déloyauté, mais le seul fait de la formuler indique un relâchement des liens de la tendresse. Relâchés ne veut pas dire brisés ; mais ce relâchement permettra un jour de les couper avec un moindre effort et une moindre peine.

Alvan l’avait laissée exposée à la tempête dans une frêle embarcation, et sans se rendre certainement bien compte des assauts furieux qu’elle allait subir. Si Clotilde eût été à même de réfléchir, elle lui eût rendu justice, mais contrainte par lui à une confiance aveugle, elle ouvrait soudain les yeux sur une force adverse et armée de moyens matériels. Elle qui s’était vue jusque-là favorisée d’une indépendance extraordinaire, elle fut soudain traitée en enfant rebelle et littéralement traînée dans les rues par son père, qui l’avait saisie aux cheveux —