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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/136

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

les cheveux d’or chers à Alvan — et la tenait sous la menace d’un couteau de chasse dont il s’était armé, en apprenant que sa fille venait de s’enfuir chez le Juif. Il semblait indifférent au scandale ; son mépris de l’opinion se teintait peut-être même d’une sorte de délectation morose. Il se réjouissait de démontrer qu’autant que la pleine connaissance du caractère féminin, deux ou trois axiomes aident à bien mener les femmes, — mieux peut-être même parce que d’application plus facile, — et que l’on ramène à sa place une fugitive à coups de fouet au lieu de perdre son temps à la poursuivre, elle qui aime tant courir. La police monta la garde autour de la maison, sur l’instigation du général qui vitupérait contre la folle hardiesse et le banditisme du Juif et prédisait de sa part des entreprises désespérées. Il enferma sa fille et déclara son intention de la traiter, à l’avenir, avec un total despotisme, seul remède pour la guérir, telle qu’il la connaissait. Qu’il la connût ou non, il connaissait la vertu de sa médication. Il savait que les osiers sont faits pour plier. À grand bruit de marteau, il cloua de sa main les volets de la chambre où il la tenait prisonnière, puis s’en alla hurler par la maison que quiconque essaierait de communiquer avec elle serait tué comme un chien. Toutes manifestations d’une force plus convaincante que celle d’un orateur.

Clotilde restait donc sans amis, insultée, dégradée, plongée en pleine nuit au milieu du jour, abandonnée par son amant. Elle se laissa choir sur le plancher, et un peu affolée par les rudes coups du sort, songea que l’heure de la réalité était venue. Le monstre la tenait. Elle était isolée ; on lui portait ses repas comme à une prisonnière. Elle n’avait