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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/137

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

pour la soutenir que son obstination naturelle et persistait encore à s’y cramponner, quand la lassitude commençait à lui en faire sentir déjà l’inanité. Chaque fois que son père venait voir si elle était brisée, elle répondait : « J’épouserai Alvan » et mettait dans ces paroles l’énergie des faibles qui trouvent une assurance dans le son de leur propre voix. Le général écoutait et annonçait sa prochaine visite. Cette lutte entre la contrainte et l’endurance se poursuivit quelque quarante heures. Puis, épuisée, Clotilde se prit à songer : « Il est étrange que mon père soit si furieusement exaspéré contre cet homme. Aurait-il, pour cela, des raisons que j’ignore ? » L’inhabituelle dureté de son père imposa ce doute à sa faiblesse, toute prête déjà à baiser la main qui la frappait. Et bientôt, elle en vint à songer aux raisons connues d’elle. Involontairement, elle adopta le point de vue de ses parents et reconnut que les apparences étaient sinistres : c’est à la réputation d’Alvan autant qu’à sa décision fatale qu’elle devait les rigueurs de son traitement. Sa misère était le fait des erreurs de jugement et de conduite de son amant.

Peut-être, cependant, Alvan travaillait-il à sa libération, était-il près de l’arracher à sa prison. Elle prit à nouveau, contre ses bourreaux, le parti de l’homme qu’elle aimait et griffonna de son mieux, en s’aidant des lueurs filtrées par les fentes des volets, un mot qui le suppliait d’accourir. Elle mit tout son cœur dans cette rédaction. Un autre billet à son amie anglaise protestait de son amour pour Alvan, mais avec moins d’abandon et avec une froide résignation à sa perte. Tout était si sombre autour d’elle !