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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/157

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Véritable saignée que cette lettre, dont les pages interminables apaisèrent la fièvre d’Alvan. À mesure qu’il écrivait, Clotilde lui apparaissait plus éclatante, plus indistincte, plus furieusement désirable. Toute l’activité concentrée de son être le précipitait sur les pas d’une Clotilde surhumainement idéalisée. Jour entre les jours que celui où il l’avait vue pour la dernière fois ; jour qui représentait Clotilde en personne, se confondait avec elle, et l’éclairait lui-même d’une lumière aveuglante ; avant, comme après, tout n’était que ténèbres. Ce jour unique était le soleil de sa vie. Jour de pluie dont il voyait exactement l’atmosphère de suie et les rues inondées, et dont il célébrait l’inégalable splendeur. Sa lettre était un hymne brûlant à ce jour glorieux dont sa hauteur morale l’avait rendu digne. La femme qui l’avait vu ce jour-là, pouvait-elle lui être infidèle ? Concluant de ses sentiments à ceux de la jeune fille, il crut pouvoir l’absoudre de cet injurieux soupçon et se trouva rasséréné : sa lettre achevée, il se mit à fredonner.

Conseil tenu avec ses amis et ses messagers, il chargea des espions de surveiller la maison des Rüdiger et de faire passer sa lettre à la femme de chambre ; d’autres eurent pour mission de dépister la trace de Clotilde. Il semait l’or et les ordres.

Le colonel de Tresten avait été témoin de son attachement à la baronne ; il était leur ami à tous deux, et un ami fervent. Les hommes qui entraient en contact avec Alvan, prenaient d’emblée nette figure d’amis ou d’ennemis, car il n’y avait pas à se méprendre à ses sentiments : dévoué à ceux qu’il aimait, il se montrait impitoyable pour les autres. Le colonel avait été confident de la peine st de la