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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/203

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

plan de combat et elle refuserait ? Non ! J’en mettrais ma tête en jeu. Si elle refuse, je suis une souche, je n’ai pas une étincelle de bon sens pour me distinguer d’un Lapon au crâne aplati, je ne suis qu’un saltimbanque : arrivé à force de pirouettes, un bateleur heureux, un joueur qui ne doit rien qu’à la chance !

Il bondit et se mit à marcher avec fièvre :

— Lucie, je ne suis plus qu’un crâne grimaçant et vide de cervelle, si cette fille refuse. Ce n’est pas possible.

Il prit son chapeau pour partir, mais ajouta, pour faire figure d’homme sensé devant cette lucide clairvoyance :

— Elle ne refusera pas. Je suis tenu de le croire, par respect pour moi-même. Tous les plans que j’ai échafaudés me donneraient mine de singe en délire, si elle… Oh ! c’est impossible ; elle ne refusera pas. Jamais ! J’ai des yeux ; j’ai du bon sens ; je ne titube pas encore au bord de la tombe, ou alors, c’est à mon insu. J’ai toute ma lucidité ; je ne radote pas. Croire qu’elle puisse refuser, c’est pour moi une idée grotesque. Elle est bien élevée, fantasque, à coup sûr, mais certainement polie. Elle est sensible aux piqûres, mais il n’y a pas eu de piqûre entre nous. Ce serait une grossièreté que ce refus, pour ne rien dire de… Elle a du cœur ; politesse et sentiment s’opposent à son refus. C’est une fille remarquablement intelligente, et je crains un peu de vous avoir donné d’elle une impression fausse. Vous apprécierez son esprit, j’en suis sûr. Croyez-moi, vous l’apprécierez. On est indulgent aux niaiseries de jeune fille. Mariée, elle jouera avec une parfaite tenue son rôle de matrone : au surplus, c’est