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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/244

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

tomber sa tête ; écrasée par les faits autant que par son cœur, elle n’osait plus regarder Marko. Elle ne leva pas les yeux quand il la quitta.

Le silence l’encouragea à relever la tête. Elle regarda autour d’elle : le fantôme du jeune homme semblait présent, et, pendant un instant, elle le vit à la fois debout vivant, et étendu mort à terre. Après tout, s’il mourait, on ne pourrait s’en prendre à elle : c’était la fatalité. Sort étrange : la Providence, après l’avoir si cruellement traitée, lui offrait cette réparation par la mort de Marko.

Peut-être eût-elle dû courir chez Alvan et le supplier d’épargner un innocent. Elle se leva, toute tremblante sur ses jambes. Elle cria de loin à Alvan : « Ne mettez pas de sang entre nous. Oh ! je vous aime plus que jamais. Pourquoi avoir laissé venir ici cet odieux homme que vous prenez pour un ami ? Je l’exècre et, en sa présence, je ne puis plus sentir mon amour pour vous. Il me glace jusqu’aux moelles. Il m’a fait dire le contraire de ce que j’avais dans le cœur. Épargnez le pauvre Marko. Vous n’avez pas de motif de jalousie ; et si vous en aviez, vous seriez au-dessus de la jalousie. Ne visez pas ; tirez en l’air. Ne me faites pas sentir, quand je baiserai votre main… »

Elle s’affala tout à coup sur sa chaise : « Je suis prisonnière ! » Elle ne pouvait faire deux pas, paralysée par la volonté paternelle et le dérobement de ses jambes. La Providence la condamnait à attendre l’issue du drame. Puissance redoutable ! Être traînée au bonheur à travers un fleuve de sang c’est évidemment chose affreuse, mais la sagesse occulte qui préside aux destinées humaines nous inspire une confiance fervente dès qu’elle paraît tenir compte