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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/245

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

de nos désirs. Clotilde se sentait disposée à admettre les décrets de la Providence, pour mystérieuse qu’elle fût dans sa munificence. Pour le poltron, la Providence joue le rôle de l’aveugle fortune à laquelle il offre servilement, au nom de ses convoitises, de sanglants sacrifices. Dès qu’il attend la satisfaction de ses désirs, il assigne à une puissance extérieure au monde la direction des événements terrestres. L’âme de Clotilde s’abandonnait toute à cette force agissante, et la paralysie de ses membres faisait place à une activité pratique ; elle allait çà et là par la chambre, brûlait des lettres, préparait un paquet de vêtements en prévision de l’heure où l’on rapporterait le corps de Marko, et où, profitant de la confusion générale, elle échapperait sans être vue, aux gémissements et au tumulte, pour se réfugier près d’Alvan, sous l’égide de la Providence. Fuir la maison, ce ne pouvait être que pour tomber dans les bras d’Alvan.

Cette perspective eût pu lui paraître trop divine, sans le prix terrible dont elle allait la payer. Ainsi, comme il l’eût souhaité lui-même, Marko lui rendait double service, car elle aimait d’une affection sincère le bel et chevaleresque jeune homme et était loin de désirer le perdre. Son sang retomberait sur la tête de ceux qui lui avaient permis de s’exposer au danger. Elle eût nourri pour lui des sentiments plus tendres encore s’il était licite à un cœur de femme de chérir deux hommes à la fois. Chose impossible, paraît-il ; force est donc à l’amoureuse de se plier à une pénible contrainte, et de se tristement résigner à la suppression de l’un d’eux.

La nuit se traînait et courait tour à tour. Aux premières lueurs de l’aube, Clotilde s’avisa d’ajouter