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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/246

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

quelques bijoux au paquet qu’elle avait préparé. L’objet de son récent culte lui enseignait le souci de ses intérêts : elle revêtit une robe qui eût inutilement alourdi son bagage.

Ce jour appartenait à la Providence : elle avait fait appel à toutes ses forces pour y jouer son rôle et connu déjà, dans sa chambre, la douleur des destinées tragiques, au moment de l’adieu final de Marko. Elle avait donc le droit de soupirer sans faiblesse son triste souhait : « Que le ciel le protège ! » Son père était revenu. Pour fuir sa présence autant que pour garder son bagage sous la main, elle remonta précipitamment dans sa chambre et attendit la catastrophe, comme un mort qui attendrait de sortir du sépulcre. Un bruit de roues serait pour elle le premier avertissement. Lent, très lent, cela voudrait dire que Marko était grièvement blessé ; elle conclurait à sa mort si de la voiture arrêtée à quelques pas de la porte, l’un des seconds du pauvre enfant descendait pour venir apporter la lugubre nouvelle. Il y avait tout à redouter d’un impitoyable verdict. Ce serait sans doute la mort. Alvan était décidé à supprimer son rival. Clotilde ne pouvait le blâmer de sa passion furieuse tout en plaignant sa victime. En tout cas, l’arrivée de la voiture serait le moment désigné, de façon péremptoire, par le doigt de la Providence. Elle restait assise, son paquet aux genoux. Son amour pour Alvan se teintait maintenant d’une sorte de terreur qui n’allait pas sans charme ; elle le voyait dispensant la mort, debout contre le ciel ensanglanté, et plus terriblement satanique dans la majesté de sa colère qu’elle ne l’avait jamais senti. Elle tremblait, frissonnait de la terreur de le revoir, du désir de courir à lui, d’appuyer