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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/36

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

ne fût pas lui. Partagée entre ces terreurs de doute et de certitude, elle jouait avec son cœur au chat et à la souris, échappait au chat, pourchassait la souris, se torturait et ouvrait de grands yeux. C’est lui ; non ; lui ; non ; c’est certain ; c’est impossible ! Et soudain : Si c’est lui, oh malheur ! Si ce n’est pas lui, oh douleur ! car c’est Alvan qu’elle venait voir, en définitive ; Alvan et elle avaient les mêmes idées et des expressions si merveilleusement pareilles que le comte Kollin en était stupéfait. Si cet homme n’était pas Alvan, la déception serait amère, mais la supposition que ce fût lui menaçait Clotilde d’un immédiat et éternel esclavage.

Ce visage, pourtant, pouvait-il être celui d’un Juif ? Clotilde s’en repaissait. Le noble profil, le teint d’ivoire et les yeux lumineux ; Juif de l’exode espagnol, sans doute, et non de souche polonaise. Il y a le Juif noble comme le Gentil bestial, et l’on ne trouve pas, chez le plus sublime des Gentils, majesté comparable à celle du Juif élu. Il est bien venu à tenir sa race pour chérie du ciel, malgré les châtiments dont le ciel persiste à l’accabler. Grave quand il vieillit, le noble Juif, dans sa jeunesse, sert de flèche à l’arc de son sang fougueux d’oriental, et dans la force de l’âge… tenez, il apparaît tel que vous le voyez là : superbe de prestance aisée et dominatrice, flamme qui surgit pour inspirer l’intelligence et se laisser tempérer par elle.

Clotilde s’attendait donc à ce que ce personnage à la mine si peu juive fût Alvan, et préparait, pour consigner le fait dans son journal, des expressions d’extrême surprise. Forcément cela ne pouvait être que la plus parfaite des surprises.

Les trois causeurs, cet homme et les deux autres