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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

de sa tribu, que l’attention de Clotilde faisait servir à une comparaison trop sacrée pour n’être pas profane, (les comparaisons s’imposent aux esprits désemparés), les trois causeurs vinrent prendre place sur le sofa à deux faces où Clotilde feignait de s’absorber dans son travail. Elle eût consenti à se réduire aux dimensions d’une tête d’épingle pour avoir le droit, moyennent une telle insignifiance, d’écouter l’orateur. Mais il n’y avait guère à craindre de ne pas l’entendre et le danger était plutôt de subir trop intensément l’ensorcellement de sa voix. Elle avait, cette voix, des sonorités moelleuses de clarinette, et n’eût été le sujet de l’entretien, Clotide eût cru entendre le grand Pan jouer de la flûte près des roseaux. Jamais elle n’avait imaginé débit aussi vigoureux et aussi musical, pareille variété d’harmonie, pareille abondance, pareille vivacité : ruisseau, fleuve, torrent, c’était tout un orchestre naturel en un seul instrument. Mais le développement du thème comportait aussi des modulations moins pastorales, des notes qui brûlaient le sang et subjuguaient Clotilde. Elle commençait à voir clair dans la discussion, quand la vivacité avec laquelle Alvan soulignait certaines affirmations impétueuses, réveilla son orgueil en un sursaut de révolte. Elle fit un retour sur elle-même ; elle aussi, elle savait penser ; son monde tenait sa pensée pour aussi originale qu’intrépide sa conversation, et ne l’eût pas jugée, sans doute, trop inférieure à cet Alvan en audace mentale. Elle se réveillait : bouton de fleur encore fermé, elle éprouvait un irritant désir de livrer son parfum secret et de se faire apprécier à son tour.

Elle brûlait de parler, de donner son opinion.