Aller au contenu

Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

doit être votre tâche, à vous, l’une des rares capables d’y suffire. Nous ne sommes pas des buveurs de sang, croyez-le. Moi, moins que tout autre. Par exemple, je déteste et je refuse le duel. J’ai décliné des cartels, ce qui ne m’a pas empêché de me montrer homme de cœur. Sans parler de sa barbarie, l’imbécillité du duel me révolte. C’est sa folie qui lui vaut l’estime de vos nobles et la sanction d’un barbon royal. Pas de sang pour moi. N’en croyez pas moins, cependant, que tout ce qui veut me barrer la route, Je le balaye. Comment ? demandez-vous ? Par l’intelligence. S’abaisser à la force brutale, à la vile astuce, c’est avouer sa faiblesse intellectuelle, c’est renoncer à la seule vraie maîtrise pour se ravaler au niveau de la bête. Comment je succéderai en mes desseins ? Peut-être avec votre aide. Vous ne sursautez pas ; vous ne vous récriez pas ? Fort bien ! Je n’ai qu’une piètre estime pour le comédien amateur. Il pullule et n’est pas amusant. Pourquoi me laissez-vous parler seul ?

— Saurais-je mieux faire ?

— Vous écoutez de façon délicieuse.

— Parce que ce sont choses agréables à entendre.

— Vous avez une oreille nacrée, comme un coquillage sur la grève.

— Et c’est la mer immense qui gronde près de lui.

Alvan se rapprocha.

— Je vois, à regarder dans vos yeux, que l’on peut vous écouter et vous parler. Cœur à cœur donc ! Oui, la mer pour vous bercer, la mer pour vous emporter aussi, dans le calme, souhaitons-le, mais dans la tempête s’il le faut. Vous êtes ma proie !