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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/80

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

gine chez un Bacchus Indien étaient innés chez lui. Au cours de sa convalescence, Clotilde se demanda où elle pourrait trouver mieux que l’adoration d’un jeune dieu, qu’il lui serait permis en retour de chérir sans déchoir, et dont le bonheur consoliderait la santé chancelante. Elle avait bien vu la souffrance le consumer ; point n’était besoin de lui enseigner la vertu spartiate ; il savait se laisser ronger le cœur en silence. Le bonheur, au contraire, en faisait une fleur au soleil, et le bonheur, c’est d’elle seule qu’il l’attendait. Pourquoi donc lui dénier une si facile aumône ? Les convalescents sont souples et sans désirs, ou leurs désirs, du moins, manquent d’impétuosité ; le sang neuf qui pénètre leur être comme un pâle rayon du jour n’y remue pas les vieilles passions ; ils ont une âme d’enfant à laquelle un soupçon d’expérience nouvelle ne fait, sans l’assombrir, que prêter une gravité attendrie.

Le médecin prescrivit un séjour de montagne et, profitant de l’invitation d’une Anglaise dont elle avait fait la connaissance en Italie, Clotilde l’accompagna et s’en fut, avec elle, respirer l’air alpestre. Marko retomba à l’état d’un personnage de rêve maladif. Une lettre du professeur annonça qu’Alvan villégiaturait sur une haute cime toute proche, et le jeune sang se mit à rouler comme un torrent dans les veines de Clotilde. Lui ! si près ! comment le rejoindre !

Elle avait entendu cet axiome, dans la bouche d’Alvan : « Deux désirs font une volonté. »

Il parlait du désir de deux amants, cela va sans dire. Jamais ne fut prononcée phrase plus délicieuse et plus pleine de promesses que celle-là, où l’on