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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/81

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

croit entendre un gazouillement de naïfs amoureux. Or, Clotilde connaissait bien son propre désir. Était-ce aussi celui d’Alvan ? Le flot vigoureux et chaud de son sang renouvelé s’insurgeait à cette idée : le désir d’Alvan ne pouvait être que le sien, et leurs désirs unis faisaient une volonté que Clotilde sentait d’autant mieux à elle qu’elle était aussi celle d’Alvan. Elle fit monter en selle son amie et les amis de son amie, et prit avec eux le chemin de la cime d’où l’aigle blessé dominait lacs et montagnes. Le professeur avait dit qu’il s’était tué de travail. Alvan menait une vie triple et laissait charger ses épaules du fardeau de trente existences. Mais peut-on mesurer les héros à l’aune commune ? À voix haute, comme dans son for intérieur, Clotilde prenait intrépidement sa défense, excusait sa conduite à son propre endroit et qu’il se fût laissé battre après l’avoir conquise. Il avait mille occupations, une ambition à satisfaire qui n’avait rien à voir avec l’amour, des chaînes à briser, des tentations, des inclinations… Elle n’avait pas, dans son entourage, écouté amis et ennemis d’Alvan, correspondu avec des hommes de valeur, aussi flatteurs que flattés de ses lettres, sans comprendre qu’un homme comme Alvan voit s’ouvrir maints chemins quand on l’empêche de s’avancer dans une direction donnée. Et maintenant que son sang renouvelé et fort lui inspirait le courage nécessaire pour faire une seule volonté de deux désirs, elle voyait très clairement leurs situations respectives, assez clairement, du moins, pour excuser Alvan plus facilement qu’elle-même. Sa radieuse et jeune vigueur lui donnait une exacte compréhension des choses. Où elle se trompait,