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CHEZ LAVOISIER

1o En premier lieu la décomposition de l’ammoniaque fit longtemps luire l’espoir fallacieux caressé par un grand nombre de chimistes de la décomposition similaire de tous les alcalis, l’azote jouant le rôle de principe alcalinisant. Fourcroy et Lavoisier lui-même n’ont-ils pas eu le désir de remplacer le nom azote par celui d’alcaligène. Dans ce cas une analogie apparente égara un certain nombre de chercheurs, qui raisonnant judicieusement s’engagèrent dans une voie sans issue.

2o Si nous pouvons avec juste raison admirer la divination de Lavoisier qui permit aux chimistes de prévoir que les terres et notamment la baryte sont elles-mêmes oxydes métalliques, il est bon de réfléchir sur les motifs raisonnés de cette étonnante divination. La chimie Stahlienne qui affirmait que la principale cause de la réaction chimique n’est autre que l’attraction du semblable pour le semblable espérait que l’étude de la réaction chimique serait révélatrice de la composition des réactifs ; la doctrine des affinités une fois acceptée devenait alors source d’explication et d’analyse[1]… Or Lavoisier admet que l’oxygène qui existe à la fois dans les acides et dans les oxydes est la cause véritable aussi bien que le moyen de la combinaison de ces corps lors de la formation des sels neutres ; c’est parce que les chaux indécomposées se combinent avec les acides, substances saturées d’oxygène que le chimiste est invité à rechercher l’oxygène dissimulé dans les terres vraisemblablement oxydes métalliques. L’analogie entre les acides et les oxydes devient source de réaction chimique ; cette analogie est dans toute la force du mot agissante[2] ; Lavoisier, en empruntant à l’école Stahlienne une manière de penser qui lui paraissait périmée a donc été mis sur la route qui conduit à la découverte de la vérité.

L’on pourrait supposer cependant, que malgré les apparences, l’analogie agissante, peut se réduire là à une féconde induction. Les terres réagissent comme les oxydes métalliques, pourquoi ne seraient-elles pas elles-mêmes oxydes métalliques ? Et du point de vue logique cette manière de voir est parfaitement soutenable. Mais ici, il s’agit de la philosophie de la matière, et des ressorts psychologiques qui soutiennent cette philosophie. Le langage employé par Lavoisier n’est-il pas révélateur du cheminement de sa pensée ?

  1. Voir Newton, Stahl, Boerhaave.
  2. Nous avons déjà rencontré des problèmes de cet ordre en étudiant l’analogie agissante dans Les concepts scientifiques.