c’est pour cela qu’il est venu se placer à côté de vous ; c’est dans cette intention qu’il a traversé d’un bout à l’autre une chambre remplie de monde. Il s’assied ; il vous interroge sur le roman du jour, remonte à celui de la veille ; il compare, il juge, puis il s’en va ; il est content, il a rempli sa tâche de la journée. Un troisième fait les délices de ses amis & l’espérance de sa famille ; il contrefait Brunet à s’y méprendre ; il est avec cela d’une simplicité, d’une bonhommie ! son lot, à celui-là, c’est l’esprit naturel.
Ce sont là quelques effets de la passion que notre siecle a conçue pour l’esprit ; tout le monde veut en avoir, parce que tout le monde veut en trouver : on se précipite où l’on pense le rencontrer ; on l’exalte par-tout où l’on s’imagine l’appercevoir ; on le cueille dès qu’il commence à poindre ; on l’expose sans lui laisser le tems de mûrir. Le charme & la facilité des succès présens étouffent l’ambition d’un succès durable : tout le monde a de l’esprit aujourd’hui, personne n’en aura dans dix ans ; & dans cinquante, on regardera comme une ironie cette phrase que je lisois dans un journal : nous n’avons jamais eu tant d’esprit.