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girart de roussillon

mesnie à Tournus[1] sur la Saône, en une prairie. Il n’y eut baron en Bourgogne, qui est grande et large, ni chevalier, ni dame de prix, qui n’eût là pavillon, tente ou feuillée[2]. La reine fut honorée par dessus tous. Le lendemain, ils partirent au point du jour.

36. Charles est logé sur la Saône ; il prit par la gonelle Tibert de Valbeton, Isembert et Brochart et leur parla ainsi : « Grande richesse à Girart, et bonne terre. Du Rhin à Bayonne, tout le pays est à lui ; en Espagne, il s’étend jusqu’à Barcelone, et l’Aragon lui paie tribut. Ah ! bien fol est le roi qui donne un tel fief, et celui qui me le demande en alleu me tient un fâcheux discours[3] ; il démembre et dépeuple le royaume, et moi je n’ai de plus que lui que la couronne ; mais j’entends bien le rogner jusqu’à la Garonne. — Maudit soit, » dit Tibert, « qui ose en souffler mot ! Mais qui a fol désir le cache jusqu’à tant que nous soyons à Sens sur Yonne. »

37. Le lendemain, ils se séparèrent au point du jour. Girart prit à part la reine sous un arbre ; avec lui, il mena deux comtes et sa femme. « Que me direz-vous, femme d’empereur, de cet échange que j’ai fait de vous avec eux ? Je sais bien que vous m’en tenez pour méprisable. — Non, sire, mais pour homme de grand prix et de valeur. Vous m’avez faite reine, et ma sœur vous l’avez prise pour l’amour de moi. Bertolais et Gervais, vous deux, riches comtes, soyez-m’en otages, et lui tenant, et vous, ma chère sœur, recevez-en l’aveu, et par dessus tous, Jésus le rédempteur, que je donne par cet anneau mon amour au duc. Je lui donne de mon oscle[4] la fleur parce que je l’aime plus

  1. Tros, c’est peut-être Trévoux.
  2. Faute de tente, on s’installait sous des abris de feuillage. Voy. Flamenca, p. 269, note 2.
  3. Ici commence le ms. de Paris.
  4. L’oscle est la donation faite avant le mariage, par l’époux à l’épouse « interveniente osculo ». Cod. Theod., éd. Ritter. III. v, 5,