Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/19

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vérifier. Mais ces investigations, directes ou indirectes, peuvent facilement nous égarer. Il ne faut pas oublier, en effet, que la recherche est toujours dominée par des idées préconçues, des hypothèses ; contrairement à ce que croyait Bacon, celles-ci sont indispensables pour guider notre marche. D’ailleurs, nous n’en sommes jamais complètement exempts ; si nous croyons l’être, cela prouve simplement qu’elles sont restées subconscientes. À supposer que, par impossible, nous n’ayons réellement aucune opinion au début de nos recherches sur un sujet donné, celle-ci naîtra spontanément dès nos premiers pas dans le nouveau domaine, et naîtra sous l’influence de dispositions d’esprit cachées à nous-mêmes et d’un savoir peut-être très étranger, en apparence, au domaine en question. Or, l’hypothèse une fois née influencera notre travail ultérieur tout entier. Quand nous referons un raisonnement, nous essaierons inconsciemment de le plier à l’idée que nous avons conçue et, vu les ressources multiples de notre raison, il se peut que celle-ci se montre plastique, qu’elle cède à la pression que, sans le vouloir, nous exerçons sur elle — ce qui évidemment faussera nos résultats. Nous éviterons, du moins en partie, ce danger, en nous adressant, non pas à notre propre pensée, expressément évoquée pour l’occasion, mais à la pensée d’autrui, exempte de plasticité, parce que fixée dans des écrits. La science nous offre un précis de ces pensées. Mais la science actuelle ne nous suffit pas. En effet, ce que nous recherchons, c’est moins le résultat que la méthode, la voie par laquelle on y est parvenu. Or, le savant, sur ce point, ne diffère pas de l’homme ordinaire. Il ne se perçoit pas raisonnant. Il ne connaît donc pas directement la voie par laquelle il est parvenu à telle ou telle conclusion ; les motifs qui la lui ont fait adopter peuvent être très différents de ceux qu’il suppose lui-même. C’est pourquoi il convient de contrôler ses assertions en s’adressant non pas à la pensée individuelle, mais à la pensée collective, en recherchant la genèse des conceptions dans l’histoire, leur évolution. Donc, finalement, et si