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un peu plus tard par Hume ; à savoir que le concept de cause, la causalité, se réduit à la succession[1].

La formule de Berkeley a été bien souvent reprise plus tard. Une pierre tend à tomber, nous dit Taine, « parce que » tous les objets tendent à tomber[2]. Helmholtz écrit : « Le principe de causalité n’est autre chose que la supposition que tous les phénomènes de la nature sont soumis à la loi[3] ». Hannequin déclare de même que « chercher la cause d’un fait, pour un physicien, c’est en chercher la loi[4] », et M. Ostwald énonce comme formule du principe de causalité : « si l’on établit les mêmes conditions, le phénomène se déroulera de même manière[5] », énoncé qui, on le voit, se rapproche des conceptions de Hume.

Il y a là une assimilation complète entre les deux concepts de cause et de loi, le second absorbant entièrement le premier. Mais la tendance contraire a également existé, c’est-à-dire qu’on a tenté d’englober la loi dans la cause. Ainsi Lucrèce après avoir énoncé ce qui est, nous le verrons plus tard, une des formes du principe de causalité, déclare que, si on ne l’admet point, on est forcé de renoncer à établir une régularité quelconque dans la nature. « Les mêmes fruits ne naîtraient pas toujours des mêmes arbres, mais ils varieraient sans cesse, tous les arbres porteraient tous les fruits[6] », et dix-huit siècles plus tard, Jean Bernoulli s’exprime d’une manière identique en déclarant que si nous rejetons le principe de causalité, « toute la Nature seroit tombée dans le désordre[7] ».

Il semble que cette assimilation ne pourrait s’expliquer que s’il y avait une réelle identité logique entre les deux concepts de loi et de cause, si les deux termes étaient synonymes.

  1. Hume. Essai philosophique sur l’entendement humain, trad. Renouvier et Pillon. Paris, 1878, p. 470-471.
  2. Taine. De l’intelligence. Paris, 1869, p. 403-404.
  3. Helmholtz. Ueber die Erhaltung der Kraft (Wissenschaftliche Abhandlungen. Leipzig, 1882), p. 68 : « Ich habe mir erst spaeter klargemacht, dass das Prinzip der Causalitæt nichts anderes sei als die Voraussetzung der Gesetzlichkeit aller Naturerscheinungen. »
  4. Hannequin. Essai critique sur l’hypothèse des atomes dans la science contemporaine. Paris, 1895. p. 8.
  5. Ostwald. Vorlesungen ueber Naturphilosophie. Leipzig, 1902, p. 302.
  6. Lucrèce. De natura rerum. Livre Ier, vers 150 ss.
  7. Jean Bernoulli. Discours sur les lois de la communication du mouvement, Œuvres. Lausanne et Genève, 1742, vol. III, p. 58.