Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/27

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Tout le monde sait qu’il n’en est pas ainsi. Il importe cependant d’éclaircir davantage cette question.

Reprenons la formule de Helmholtz en la considérant pour ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire comme l’expression du principe non pas de causalité, mais de légalité. Ce dernier terme n’est pas usité dans le sens que nous lui donnons, nous le croyons cependant clair : il signifie la domination de la loi. Cela nous permettra de traduire avec plus d’exactitude la fin de la phrase de Helmholtz que nous avons citée plus haut et où ce dernier stipule littéralement « la supposition de la légalité (Gesetzlichkeit) de tous les phénomènes de la nature[1] ».

Comment arrivons-nous à formuler des lois ? Par l’observation et la généralisation des phénomènes. La faculté généralisatrice de l’esprit humain a, de tout temps, beaucoup occupé les philosophes ; mais c’est un chapitre de la logique que nous entendons ici laisser complètement de côté. Nous considérerons comme donné que l’esprit humain possède la faculté de former à l’aide de la perception de divers individus le concept homme, de même qu’à l’aide de la perception de différents morceaux d’une matière jaune, inflammable, etc., il formera le concept soufre. Le principe de la légalité de la nature postule évidemment la formation de ces concepts, car les phénomènes étant infiniment divers, nous ne pourrions formuler des règles et d’ailleurs, une fois formulées, elles ne nous serviraient de rien, sans la faculté de généralisation.

Helmholtz, nous venons de le voir, qualifie la légalité de

  1. Il serait sans doute fastidieux pour le lecteur de développer à cette place en quoi notre formule se rapproche de celles données par des chercheurs qui nous ont précédé, et en quoi elle en diffère. Mentionnons cependant que ce que nous appelons légalité, d’un terme que nous empruntons à Helmholtz, mais dont ce dernier a mal défini la portée, correspond à peu près à ce que Kroman (Unsere Naturerkenntniss, trad. Fischer Benzon. Copenhague 1883) désigne comme causalité, de même que notre concept de causalité scientifique se rapproche de celui d’identité du même auteur. Cependant Kroman semble quelquefois méconnaître les véritables limites du premier de ces deux concepts (cf. par exemple p. 204 où il le confond, tout comme Helmholtz, avec le postulat de compréhensibilité, p. 214 ss, où il voudrait en déduire l’existence du noumène). — Les concepts de causalité empirique et de causalité rationnelle formulés par M. Kozlowski (Revue philosophique, 1905, p. 250) s’écartent davantage de ceux définis par nous, puisque cet auteur, d’une part, se sert du terme rationnel pour désigner ce qui est simplement conforme à la régie, c’est-à-dire d’après notre terminologie légal, (cf. Psychologiczne zrodla, Varsovie, 1899, p. 11, Revue philosophique, oct. 1906, p. 407) et que, d’autre part, le concept de causalité implique chez lui celui de devenir irréversible (Przeglad filozoficzny, 1906, p. 200, 204).