Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/31

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moyens d’investigation, et, entre autres, le thermomètre et le microscope, si odieux à Comte, bien au delà des limites où s’arrêtait leur pouvoir à cette époque[1]. Ce qu’il faut dire encore, c’est qu’en dépit de la notoriété de l’œuvre de Comte et de l’autorité dont jouissent ses écrits, jamais aucun savant, au cours de ses recherches, n’a essayé de suivre les principes en question. Sans doute, devant un ensemble de phénomènes, un savant peut se demander si les données qu’il possède et celles que ses moyens d’investigation lui permettront d’acquérir suffiront pour débrouiller les lois qui les régissent ; mais jamais aucun physicien, chimiste ni astronome, ne s’est demandé si les phénomènes qu’il allait étudier, quelle que fût leur nature, étaient ordonnés ; jamais aucun savant digne de ce nom n’a douté que la nature ne soit entièrement soumise, jusque dans ses replis les plus intimes, à la légalité. Un doute à cet égard eût suffi, comme l’a dit justement M. G. Léchalas[2], pour arrêter toute recherche.

Serait-ce là, comme on l’a dit parfois, une manière de penser particulière au savant ou à l’homme moderne formé à son école ? Mais nous avons vu au contraire qu’elle n’a pu être acquise par expérience, qu’actuellement encore l’expérience ne la justifie pas, qu’elle ne la justifiera jamais ; et il semble bien que, partout où ils se croient en face de la nature morte seule, où ils ne supposent pas l’intervention du libre arbitre d’un être vivant, l’homme primitif et même l’animal aient à ce sujet des opinions entièrement analogues aux nôtres. Quelle est donc la source de cette conviction, comment se fait-il que nous ayons une foi absolue dans la valeur des lois, que nous supposions leur existence là même où nous n’avons pas encore su en formuler ?

Pour le comprendre, nous n’avons qu’à nous rappeler que

  1. Comme exemple du souci d’exactitude qui domine la science moderne, on peut citer, entre mille, les travaux de Stas sur les poids atomiques, avec leurs minutieuses précautions : celles-ci n’ont cependant pas paru suffisantes et les chimistes des générations postérieures n’ont cessé d’apporter des corrections continuelles aux chiffres de Stas, ainsi qu’on peut s’en rendre compte par les travaux des commissions spéciales qui s’occupent de contrôler ces mesures. Deux travaux du Congrès international de 1900, celui de M. Benoit sur la Précision dans la détermination de longueur en métrologie, et de M. Rubens sur le Spectre infra-rouge sont très propres à donner une idée de la précision à laquelle on est parvenu et du souci constant que les physiciens y apportent. Il va sans dire que de nouveaux progrès ont été accomplis depuis cette date.
  2. G. Léchalas. Les confins de la science et de la philosophie. Revue des questions scientifiques, XIX, 1901, p. 505.