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la prévision est indispensable pour l’action. Or, l’action est, pour tout organisme de la série animale, une nécessité absolue. Entouré d’une nature hostile, il faut qu’il agisse, qu’il prévoie s’il veut vivre. « Toute vie, toute action, dit M. Fouillée, est une divination consciente ou inconsciente : devine ou tu seras dévoré[1]. » Donc, je n’ai pas le choix de croire à la prévision, c’est-à-dire à la science, ou de n’y pas croire. Si je veux vivre, il faut que j’y croie ; dès lors, il n’est pas étonnant que cette conviction, fondée directement sur le plus puissant des instincts de l’organisme, celui de la conservation, se manifeste avec une force singulière.

En définissant la science par son utilité au point de vue de l’action, n’en avons-nous pas réduit le domaine ? De tout temps, le savant qui ne s’occupe point de recherches immédiatement utilisables a été un sujet de moqueries pour le vulgaire ; et certainement, à l’heure actuelle, beaucoup de physiciens, de chimistes, de géologues, etc., travaillent sur des problèmes dont la solution ne paraît pas comporter de conséquences pratiques. Ces recherches sont-elles illégitimes ?

Auguste Comte était d’avis qu’il y avait bien, de ce côté encore, une limite, que certaines recherches étaient radicalement inutiles et d’ailleurs en même temps frappées d’avance de stérilité, telles, par exemple, les recherches sur la constitution physique des astres. Voici en quels termes Comte déduit l’existence de cette limite :

« Il existe, dans toutes les classes de nos recherches, et sous tous les grands rapports, une harmonie constante et nécessaire entre l’étude de nos vrais besoins intellectuels et la portée effective, actuelle ou future, de nos connaissances réelles. Cette harmonie… dérive simplement de cette nécessité évidente : nous avons seulement besoin de connaître ce qui peut agir sur nous d’une manière plus ou moins directe et d’un autre côté, par cela même qu’une telle influence existe, elle devient pour nous tôt ou tard un moyen certain de connaissance[2]. »

Il est permis de douter que la déduction de Comte soit valable, même au point de vue de sa définition de la science. Il y a, en effet, au fond de ce raisonnement, un postulat : c’est

  1. A. Fouillée. Les origines de notre structure, etc. Revue Phil., XXXII, 1891, p. 576.
  2. Comte. Cours, vol. II, p. 11. Cf. ib., p. 6-8.