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que nous sommes capables de distinguer d’avance, par un moyen quelconque, « ce qui peut agir sur nous d’une manière plus ou moins directe », c’est-à-dire les connaissances qui sont susceptibles de nous être utiles, d’avec celles qui ne pourront jamais nous rendre aucun service. En effet, s’il n’en était pas ainsi, la distinction établie par Comte n’aurait pas de sens, car elle ne permettrait de tracer aucune limite. Or, il est aisé de s’apercevoir que le postulat n’est pas soutenable. L’univers, au point de vue de ses rapports avec nous, est un tout ; toutes ses parties doivent agir les unes sur les autres et toutes peuvent, directement ou indirectement, réagir sur nous. Une partie de l’univers qui n’aurait avec nous aucun rapport possible, serait quelque chose, non pas que « nous n’aurions pas besoin de connaître », comme le pose Comte, mais que nous ne connaîtrions pas, dont nous n’aurions pas conçu l’existence, en d’autres termes, quelque chose d’inexistant.

M. Le Dantec, en essayant de préciser le précepte de Comte, a trouvé cet exemple très juste de mondes qui seraient placés dans une bille d’éther séparée de notre univers par un milieu qui ne transmettrait pas la lumière[1]. À supposer, en effet, que ce milieu ne transmît, de même, aucune autre forme d’action, pas même la gravitation, il est certain que nous ne pourrions jamais concevoir l’existence des mondes en question.

Dans le cas précis cité par Comte de la constitution physique des astres, nous savons qu’il s’est trompé sur le fait : l’analyse spectrale, découverte quelques lustres à peine après l’apparition du Cours de Philosophie positive, lui a infligé sur ce point un démenti éclatant. Mais est-il vrai seulement que ces connaissances doivent rester forcément stériles au point de vue de l’utilité pratique ? Qu’en savons-nous ? Ne peuvent-elles pas nous révéler des données sur la genèse des corps célestes, données qui nous permettront de conclure aux phénomènes qui se produisent dans l’intérieur du soleil ou même de la terre, où il nous est malaisé de parvenir, alors que nous avons cependant intérêt à connaître ce qui s’y passe, au point de vue de l’avenir ? Est-il inimaginable que nous y puisions des connaissances sur la constitution de la matière ? Par le fait, des suppositions de ce genre ont déjà été formulées et

  1. F. Le Dantec. Les limites du connaissable. Paris, 1903, p. 98-99.