Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/34

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nul ne saurait dire si elles ne sont pas destinées à révolutionner la science de demain. Tel phénomène qui, en ce moment, nous paraît infiniment lointain peut nous révéler demain des rapports dont la connaissance sera de l’utilité la plus immédiate.

Comte lui même, mieux inspiré qu’au moment où il formulait l’interdiction dont nous venons de parler et essayait de la motiver, en avait fourni un exemple éclatant, en faisant ressortir, après Condorcet, que le marin d’aujourd’hui, procédant à des déterminations astronomiques, profite de découvertes mathématiques sur les coniques dues à des géomètres grecs qui ont vécu il y a vingt siècles[1] : or, il est bien certain que ces derniers ne pouvaient pas prévoir une utilisation de ce genre.

Ainsi l’on peut, en partant du concept utilitaire de la science, la justifier cependant tout entière, y compris les recherches sur la nature physique des astres, bien entendu en tant que la science a pour but unique de connaître les rapports entre les phénomènes, les règles, les lois qui les régissent. Tel paraît être du reste l’avis à peu près unanime de tous ceux, philosophes ou savants, qui ont adopté, au point de vue de la définition de la science, la conception d’Auguste Comte ; personne, semble-t-il, n’est plus disposé à renouveler une interdiction du genre de celle que nous venons de mentionner.

Tout en étendant son domaine, la science s’abrège et les mêmes causes rendent fort bien compte de cette évolution.

Voici un rayon lumineux qui passe dans l’eau ; nous remarquons qu’il change de direction et nous arrivons à reconnaître que, pour le même angle d’incidence, l’angle de réfraction est identique, mais que, pour différents angles, il est différent. Il nous faut donc dresser une table d’angles d’incidence et d’angles de réfraction correspondants, table dont nous devrons, si nous nous occupons de cette partie de la science, retenir au

  1. Comte, l. c., vol. Ier, p. 53.

    M. Lévy-Bruhl qui pourtant, par ailleurs, cherche à défendre l’unité de la doctrine de Comte (l. c., p. 12) reconnaît qu’il a varié sur cette matière et que ce changement d’opinion était dû « à la subordination croissante de l’intérêt scientifique à d’autres intérêts » qu’il estimait « supérieurs » (ib., p. 173-175). Cette évolution a continué après la publication du Cours, et dans la Politique positive (1851) Comte arrive à restreindre l’astronomie au système solaire (I, p. 510) et à se moquer de la « prétendue découverte » de Le Verrier « qui, si elle avait pu être réelle, n’aurait vraiment dû intéresser que les habitants d’Uranus ».