Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/35

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moins les principaux points de repère ; et plus nous tenons à calculer avec exactitude, plus la table devra être détaillée, au point de devenir impossible à loger dans la mémoire. Mais voici que la loi de réfraction résume toutes ces observations. Sachant que sin i/sin r = n, nous n’avons plus besoin de la table, nous n’avons même pas besoin d’en retenir les points de repère. Nous avons donc réduit notre effort, et, ce faisant, nous avons obéi à la tendance naturelle et générale de tout être organisé. D’ailleurs le nombre des faits de la nature est infini, et infinie aussi est leur variété. Notre désir est de les embrasser tous, pour pouvoir tous les prévoir. Sans doute, nous n’y parviendrons jamais, mais au moins nous en faut-il connaître le plus grand nombre possible. Or, plus l’effort sera réduit pour chaque cas particulier, et plus nous pourrons évidemment l’étendre. C’est ce que Comte a défini en disant que « l’usage des lois » est de « dispenser, autant que le comportent les divers phénomènes, de toute observation directe, en permettant de déduire du plus petit nombre possible de données immédiates le plus grand nombre possible de résultats[1] ». En d’autres termes, les lois ont pour but une « économie » d’effort. Nous empruntons cette expression, qui ne se trouve pas chez Comte, mais qui, on le voit, résume exactement ses idées, aux écrits d’un penseur moderne de grande valeur, M. E. Mach, dont les conceptions ont exercé et exercent encore une influence considérable sur la science.

La science embrasse-t-elle la totalité des phénomènes de la nature ? Il y a des faits qui ne m’apparaissent pas comme entièrement déterminés par les conditions. Ce sont ceux qui émanent de ma volonté. Suis-je réellement libre ? Ce qui est certain, c’est que, en ce moment et dans certaines limites, je me sens libre d’agir et que, rétrospectivement, je me sens responsable des actes que j’ai accomplis.

Ce sentiment ne serait-il, comme le veulent les déterministes, qu’illusion et épiphénomène ? En tout cas, nous voici, semble-t-il, aux prises avec un des plus redoutables problèmes qui aient embarrassé l’esprit humain. Serons-nous forcés de le résoudre avant de procéder plus loin ? Il semble bien qu’il soit insoluble par essence, que ce soit une des antinomies par lesquelles se manifeste l’inconnaissable. Mais, heureusement,

  1. Cours, vol. I, p. 99.