Page:Meyerson - Réel et déterminisme dans la physique quantique.pdf/20

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Sans doute, à première vue, serait-on enclin à penser que c’est là une objection — étant donné surtout que nous nous mouvons ici, en supputant les possibilités d’explications futures, sur un terrain semé d’embûches — un peu trop abstraite pour être jugée décisive. Mais il n’est pas impossible, croyons-nous, de montrer comment, dans le passé de la science, des considérations de cet ordre sont intervenues effectivement et très efficacement, en déterminant la structure générale des théories. Stallo, en critiquant l’atomisme (cf. I. R., p. 478, 479) a insisté sur ce que le fondement même de cet édifice apparaissait comme erroné en son essence, étant donné que la théorie cinétique aboutissait manifestement à expliquer l’état gazeux de la matière par l’état solide, alors qu’il est avéré que les lois régissant les gaz sont infiniment plus simples que celles qui concernent les corps solides. Ainsi, puisque le complexe doit s’expliquer par le simple, on devrait s’appliquer à créer des théories où les gaz expliqueraient les solides, et non inversement. Mais, nous l’avions exposé, un tel raisonnement pèche par la base. Ce n’est nullement la simplicité qui, au point de vue de l’intellection, de la rationalisation du réel, joue le rôle décisif, c’est l’identité (en l’espèce, l’identité dans le temps, la permanence). C’est ce que démontre, précisément, l’atome de la théorie cinétique. Il peut servir à expliquer la masse gazeuse (qui le dépasse grandement en simplicité), parce qu’il est conçu comme demeurant identique à lui-même dans le temps. Or il est clair que la particule ne peut demeurer identique que par le fait qu’elle est individuelle. Et dès lors, on est amené à se demander comment pourrait se créer la notion d’un réel qui serait dépourvu de tout attribut individuel, comment, une fois conçu, un tel réel pourrait recéler en lui une véritable force explicative, fournir, ainsi que l’espère M. Langevin, « une représentation satisfaisante du monde nouveau » que les quanta nous ont fait entrevoir. Et sans vouloir se lancer, à ce propos, dans un dogmatisme négatif trop appuyé, l’on se prend à douter que ce soit là la voie que l’effort explicatif prendra à l’avenir.

D’ailleurs — et cela est très important à noter — il suffit d’y prendre garde pour reconnaître qu’au cours de son travail même, le physicien se libère de manière bien moins complète du réalisme naïf du sens commun qu’il n’aimerait peut-être le croire. Le chercheur dans le domaine des quanta, si phénoméniste qu’il entende demeurer, sera inévitablement amené à penser, dès qu’il s’agira de