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faire mouvoir ces êtres, au mouvement qu’il connaît dans le molaire, c’est-à-dire surtout au mouvement des objets du sens commun, et ce n’est qu’en introduisant graduellement des correctifs qu’il pourra chercher à modifier cette notion. Il est incontestable qu’il y a, dans ce cas précis, réussi dans une certaine mesure. Mais cette réussite est bien moins grande que certains ne sont portés à se le figurer, ou du moins, à le prétendre. Elle n’est surtout point complète, tout simplement parce qu’elle ne saurait l’être. Est-il tout à fait juste d’affirmer, avec M. Bohr[1], que M. Heisenberg, dans son travail fondamental « parvient à s’affranchir complètement du concept classique du mouvement ? » Il suffit, semble-t-il, d’y prendre garde pour se convaincre que si, chez le célèbre physicien allemand, le mouvement a perdu la continuité que lui prêtait la physique pré-quantique et qu’elle avait empruntée au comportement des objets de la perception immédiate, cependant, à d’autres égards, et du fait même que l’on parle de mouvements, ce concept ne laisse pas d’avoir quelque chose qui lui est commun avec ce qu’on désigne à l’ordinaire par ce terme. Il implique, en effet, toujours la constatation que le même objet est susceptible de paraître dans des endroits différents de l’espace ; M. L. de Broglie a fait ressortir, dans cet ordre d’idées, que l’électron est censé se mouvoir comme un obus chargé (cf. C.P., p. 759). Et si, au contraire, c’est le paquet d’ondes qui devient l’élément fondamental, il est tout aussi clair que nul n’eût songé à le concevoir sous cet aspect sans les ondulations que nous percevons dans le réel sensible. À plus forte raison, quand M. Eddington, de manière plus générale, prétend que le physicien « qui avait l’habitude d’emprunter ses matériaux à l’univers familier…, ne le fait plus », que « ses matériaux bruts sont l’éther, les électrons, les quanta, les potentiels, les fonctions hamiltoniennes, etc. » et qu’il prend, à l’heure actuelle « un soin scrupuleux de garder ces notions de toute contamination par des conceptions empruntées à l’autre univers » (cf. C.P. § 373), il est très certainement le jouet d’une illusion. Il faut que, par un côté, le concept de la théorie scientifique rappelle celui du sens commun, sans quoi le physicien ne saurait comment le manier. « Demandez à votre imagination, — a dit avec raison Tyndall, en

  1. N. Bohr, La théorie atomique et la description des phénomènes, tr. A. Legros et Rosenfeld, Paris, 1932, p. 66.