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que nous avons qualifié de principe de légalité. Du moment, en effet, où tout savoir concernant le réel physique doit se borner à la loi, n’est-il pas naturel d’affirmer que ce réel est entièrement dominé par des lois ? Ainsi la constatation de phénomènes n’obéissant pas à la loi apparaît, d’emblée, impossible, impensable.

Il est fort remarquable que Comte lui-même n’ait pas succombé à la tentation et ne se soit pas aventuré dans cette direction. Il a, tout au contraire, comme on sait, parfaitement prévu qu’au-dessous du réel observé par le physicien et réglé par des lois, pourrait se trouver un réel plus profond et entièrement déréglé. Il n’est pas douteux que cette affirmation ne se rattachait nullement aux principes formulés par lui qui, s’ils n’exigeaient pas absolument, favorisaient cependant nettement la conception contraire. Le créateur du positivisme fut indubitablement conduit à cette dérogation, on l’a exposé maintes fois, par des considérations de politique sociale. Entendant fonder l’ordre dans la société sur la science, il était amené à reconnaître à celle-ci une stabilité bien plus grande qu’elle ne pouvait offrir en réalité. Ainsi, la science ne connaissant que la loi, il fallait que les lois, une fois formulées et reconnues suffisamment simples (les théories de Comte lui interdisaient de rechercher un autre critère) demeurassent inattaquables. Or, de son temps déjà des constatations parurent, ébranlant manifestement des lois que Comte classait dans cette catégorie, et notamment la fameuse loi de Mariotte. C’était là une anomalie mettant en danger les fondements de son système politique, lequel était non seulement le couronnement de la construction entière, mais véritablement le but en vue duquel l’édifice avait été érigé. Il fallait donc à tout prix écarter cette menace, et Comte eut alors recours à cette supposition du substrat indéterminé du réel, en interdisant en même temps expressément au savant de toucher à ces phénomènes ; tout ce qui concernait une connaissance de ces derniers était d’avance écarté de la science, déclaré anti-scientifique, ou plutôt nul et non avenu. À quel point tout cela tenait peu à la véritable essence de la doctrine positiviste, on s’en rend facilement compte en parcourant les exposés courants de cette épistémologie. Nulle part — du moins chez ceux qui ne traitent pas spécialement de l’aspect politique et social (ou quasi religieux) de la théorie — on ne trouvera une allusion à cette conception de l’indétermination foncière des phénomènes