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mais les détails de sa longue affection pour mademoiselle de Lespinasse répondent à ce reproche, et prouvent qu’il était susceptible de l’attachement le plus délicat et le plus solide. Chérissant l’indépendance, il évitait la société des grands, des gens en place, et ne recherchait que celle on il pouvait se livrer à toute la gaieté et franchise de son caractère, qui prenait quelquefois une légère teinte de causticité. D’Alembert avait de la malice dans l’esprit et de la bonté dans le cœur, dit la Harpe, qui, d’ailleurs, lui accorde dans la littérature un rang très-distingué. Le jugement favorable d’un critique aussi sévère, et qui, dans ses dernières années, attaquait avec tant d’amertume l’esprit du siècle où brilla d’Alembert, est bien propre ai réduire à leur juste valeur les censures de ceux qui ont traité d’hérésies littéraires les préceptes sages d’un écrivain qui ne pardonnait à aucun genre de déclamation. Le crédit dont il jouissait, son attachement constant pour Voltaire, et son propre mérite, lui attirèrent beaucoup d’ennemis ; cependant il eut la sagesse de ne pas répondre aux attaques qu’on lui portait : on ne connait de discussions littéraires de lui, que celle qu’il eut avec J.-J. Rousseau, ai propos de l’article consacré à la ville de Genève, dans l’Encyclopédie. Quant aux disputes, il s’y refusait, et se réfugiait alors, disait-il, dans sa chère géométrie. Cette modération était en lui le fruit de la réflexion, car ses vivacités allaient quelquefois jusqu’à l’emportement ; mais il les réparait aussitôt, lors même qu’elles lui étaient arrachées par les longues souffrances qui terminèrent sa vie. Il mourut de la pierre, sans s’être fait opérer, à l’âge de 66 ans, le 29 octobre 1783. Il institua pour ses exécuteurs testamentaires Condorcet et Watelet, et laissa l’un des portraits que lui avait envoyés Frédéric II, à madame Destouches, veuve de son père, et qui lui avait toujours donné des marques d’amitié et de considération. Il était membre de toutes les sociétés savantes de l’Europe ; et plusieurs ont rendu des hommages publics ai sa mémoire. Son éloge, fait par Condorcet pour l’Académie des sciences, est un des meilleurs qui soient sortis de la plume de cet écrivain. L’Académie française proposa l’éloge de d’Alembert pour sujet du prix de 1787 : il ne fut pas remporté ; mais il donna occasion à Marmontel, dans la séance publique du 25 août de cette année, de peindre d’une manière touchante le mérite et les grandes qualités d’un confrère dont il avait été l’ami. Le roi de Prusse témoigna de véritables regrets en apprenant la mort de d’Alembert, qu’il avait connu personnellement, lorsque après la paix dde 1763, ce savant alla le remercier de ses bienfaits ; D’Alembert et Frédéreic entretinrent une correspondance qui fut publié après la mort du monarque, et dont la lecture est très-piquante. Les ennemis de d’Alembert ont voulu l’apprécier par une espèce de bon mot, en disant qu’il était grand géomètre parmi les littérateurs, et littérateur parmi les géomètres : la vérité est qu’en géométrie, il fut au premier rang, et au second en littérature ; mais, par l’influence qu’exerce le style sur le sort des écrits de tous genres, les traités de mathématiques de d’Alembert auront été lus moins longtemps que ses productions littéraires. On n’oserait placer au-dessus, de lui aucun des géomètres ses contemporains, quand on considère les difficultés qu’il a vaincues, la valeur intrinsèque des méthodes qu’il a inventées, et la finesse de ses aperçus ; mais cette finesse, qui paraît former le trait caractéristique de son talent, le jetait souvent dans des voies détournées, et l’empêchait sans doute de rechercher le mérite d’une exposition lumineuse et facile. C’est peut-être par cette raison, et non par une négligence qui ne saurait s’allier avec le véritable amour de la gloire, qu’en général, il a peu soigné les détails de ses ouvrages mathématiques, si l’on en excepte pourtant son Traité de dynamique, dont il a donné une seconde édition. Dans cet ouvrage même, la tournure des démonstrations et des calculs s’éloigne beaucoup de la marche, à la fois simple et féconde, qu’Euler a tenue dans tous ses écrits ; de là vient que les découvertes de d’Alembert ont pris, dans les écrits d’Euler et de ses successeurs, une forme nouvelle, qui détourne de plus en plus de la lecture des traités ou elles ont paru pour la première fois. La simplification des méthodes, à mesure qu’elles se généralisent, fait vieillir assez promptement les ouvrages de géométrie et de calcul ; et la lecture des originaux devient un travail d’érudition. Sous ce rapport, à mérite égal, les grands écrivains ont l’avantage sur les premiers savants : on ne fait plus que citer les noms de ceux-ci, et on lit toujours ceux-là. Que les hommes donc qui veulent prolonger le succès de leurs écrits dans les sciences ne se bornent pas à les enrichir de découvertes ; qu’ils ne négligent ni la clarté du discours, ni l’élégance des méthodes, s’ils veulent parler longtemps eux-mêmes à la postérité. Les œuvres mathématiques de d’Alembert ne sont point réunies en collection, elles se composent : 1° du Traité de dynamique, in-4o, 1 vol., dont la 1re édition est de 1743, et la 2° de 1758 ; il y en a une réimpression, Paris, 1796. 2° Traité de l’équilibre et du mouvement des fluides, in-4o, 1 vol., dont la 1re édition est de 1744, et la seconde de 1770. 3° Réflexions sur la cause générale des vents, in-4o, 1747. 4° Recherches sur la précession et sur la nutation de l’axe de la Terre, in-4o, 1749. 5° Essai d’une nouvelle théorie sur la résistance des fluides, in-4o, 1752. 6° Recherches sur différents points importants du système du monde, 3 sol. in-4o, 1754, 1756. On doit joindre à cet ouvrage les Nouvelles tables de la lune, et Nova tabularum lunarium emendatio. 7° Opuscules mathématiques, 8 vol. in-4o, 1761-64-67-68-73-80. À la suite des écrits précédents se placent les Éléments de musique théorique et pratique, suivant les principes de M. Rameau, éclaircis, développés et simplifiés, 1 vol. in-8o. Cet ouvrage a eu quatre éditions ; la 4e a été imprimée à Lyon, en 1779. Les productions littéraires de d’Alembert sont : 1° Mélanges de littérature et de philosophie, 8 vol. in-12, réimprimés plusieurs fois ; 2° sur la Destruction des Jésuites, 1 vol. in·12, 1765, avec un supplément sous le titre de Lettre, etc, 17B7 ; 3° Éloges lus dans les séances