Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
388
ALE

de l’Académie française, 6 vol. in-12, 1779-87 ; 4° Œuvres posthumes, publiées par M. Pougens, 2 vol. in-12, 1799 ; 5° quelques opuscules, tels que l’Éloge de milord Maréchal, 1779, in-12 ; Dissertation sur le goût, 1776, in-8o; Apologie de l’abbé de Prades, 1752, in-8, 3 parties, etc. On a réimprimé a part les morceaux de Tacite avec d’autres traductions, 2 vol. in-12,1784. Enfin tous ces écrits ont été rassemblés dans les Œuvres philosophiques, historiques et littéraire de d’Alembert, réunies et publiées par M. Bastien, 18 vol. in-8o, Paris, 1805. On y trouve plusieurs morceaux inédits, et la correspondance de d’Alembert avec Voltaire et avec le roi de Prusse. L-x.

Des travaux littéraires de d’Alembert. — L’article qui précède indique, mais sans les développer, sans les apprécier, les titres littéraires de cet homme célèbre : c’est une lacune que nous devons combler. On peut dire de d’Alembert qu’il fut littérateur quoique mathématicien ; d’autres, au contraire, tels que Descartes. Pascal, furent mathématiciens quoique écrivains. Chez d’Alembert, le mathématicien domine évidemment le philosophe, comme celui-ci réfléchit les traits de l’homme privé. En effet, abandonné par ses parents des sa naissance, formé de bonne heure et pendant longtemps à la rude discipline de la privation, il apprit à se contenter de peu, à ne demander qu’à son travail les moyens de s’élever au-dessus du besoin ; il n’eut, en un mot, qu’une ambition, celle de se consacrer au culte de la vérité. Son style, ses ouvrages, sa philosophie, tout se ressentit de ses occupations habituelles et de cette calme d’esprit. Aussi bien subit-il l’influence de son siècle, plus qu’il ne lui imprima la sienne. Il s’associa au mouvement innovateur de son temps, mais il ne le dirigea pas, comme firent ces deux étonnants génies, Voltaire et Rousseau. Pour qui ne connaîtrait pas cette époque mémorable, les écrits de d’Alembert lui en donneraient le complet résumé. Il n’y faut donc pas chercher la démolissante ironie de Voltaire ou les ardentes convictions de Rousseau, conséquemment s’attendre a y rencontrer la dangereuse facilité du philosophe de Ferney, ou à voir couler de sa plume la lave brulante qui s’exhalait du cœur du citoyen de Genève... On s’y repose, au contraire, des agitations incessantes de ces temps orageux. — C’est qu’il ne s’était pas, comme ces deux grands hommes, tracés lui même dans ses écrits, pour y tendre sans cesse un but unique. Voltaire veut écraser la superstition, l’infâme, comme il l’appelle ; Rousseau essaye de ramener à la nature l’homme qui, selon lui, s’en est constamment écarté. D’Alembert, lui, expose ce qui est, mais ne conclut pas. C’est ce qui fait que beaucoup de ses écrits ressemblent à de simples exercices d’esprit. Il a lui-même (t. 1er des ses Œuvres complètes) jugé sa manière : « Le style de l’auteur est, disait-il, clair, net., précis, ordinairement facile, quoique châtié, quelquefois mêe un peu sec, mais jamais de mauvais goût ; plus d’énergie que de chaleur, plus de justesse que d’imagination... » C’est que pour avoir de l’énergie, de l’imagination, il faut savoir ce que l’on veut, et osons le dire, cet homme remarquable d’ailleurs à tant de titres, ne le savait pas trop ; il ne pouvait donc être animé de cette inspiration qui pousse un homme à jeter dans le public ce qu’il croit toucher a l’avenir, au bonheur des autres hommes. Si don les mathématiques doivent à d’Alembert des découvertes, on n’en peut pas dire autant de la philosophie ou des lettres. Tout, dans ses écrits, est estimable, mais tout n’y est pas original. ─ Le Discours préliminaire de l’Encyclopédie, l’œuvre fondamentale du philosophe-mathématicien, « trace, dit Condorcet, le développement de l’esprit humain, non tel que l’histoire des sciences et celle des sociétés, nous le présente, mais tel qu’il s’offrirait a un homme qui saurait embrasser tout le système de nos connaissances... La suite de ce discours contient un tableau précis de la marche des sciences, depuis leur renouvellement. » Cette appréciation est juste, mais il en résulte en même temps que la méthode de d’Alembert n’était autre que celle de Bacon ; il le reconnaissait d’ailleurs lui-même. C’était, au surplus, la méthode du 18e siècle. Le style du discours est fier, énergique ; c’est assurément le plus remarquable qui soit sorti de la plume de l’auteur. — L’Essai sur les éléments de philosophie, qui fait suite au Discours et le complète, témoigne encore de la sage, mais prudente manière de l’auteur « Aller du connu à l’inconnu, se borner un petit nombre de vérités incontestables. » Quand donc se présente une de ces questions redoutables, qui de tout temps ont exercé les penseurs, celle de l’immortalité de l’âme, par exemple, l’auteur répond que « la philosophie fournit des arguments pressante de la réalité d’une autre vie ; » puis, énumérant les objections ordinaires, il reprend la magnifique réponse de Pascal, que « la religion seule empêche l’état de l’homme en cette vie d’être une énigme. » Ainsi procède d’Alembert : trop sage pour détruire, trop philosophe pour affirmer. ─ Un essai d’un autre genre, c’est celui sur les gens de lettres : d’Alembert y pouvait prêcher d’exemple ; aussi s’élève-t-il contre l’atteint portée à la dignité des lettres, par le patronage avilissant du riche ou du grand seigneur, a une époque où les institutions laissaient subsister dans la société des démarcations également réprouvées par la nature et la raison. Ce que voulait d’Alembert pour les gens de lettres, c’était ce qu’il demandait pour lui-même, le pain et la liberté ; c’est-à-dire ce que l’on ne doit demander jamais qu’au travail et à la pensée. Cette netteté de vues, d’aperçus, se retrouve dans quelques autres ouvrages qui rattachaient l’auteur aux questions agitées de son temps. — Le livre intitulé : de la destruction des Jésuites en France, à part la tendance ordinaire du siècle à prendre l’effet pour la cause, l’abus pour la chose elle-même, est cependant, quoi que l’on ait pu dire, équitable à l’endroit de cet ordre célèbre. Il dit bien « que cette société a toujours eu le projet de gouverner les hommes et de faire servir la religion à ce dessein ..., » mais il ajoute que « les maximes que l’on reprochait à