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AMY

à Melun, n’avait d’autre secours de ses parent qu’un pain que sa mère lui envoyait chaque semaine : pour y suppléer, il fut obligé de servir de domestique à d’autres écoliers de son collège ; on prétend que la nuit, à défaut d’huile ou de chandelle, il étudiait à la lueur de quelques charbons embrasés. Après avoir fait ses cours de poésie et d’éloquence latine, de philosophie et de mathématiques, sous les plus célèbres professeurs du collège de France, nouvellement fondé, il se fit recevoir maître-ès-arts, et ensuite se rendit à Bourges, pour y étudier le droit civil. Là, Jacques Collin, lecteur du roi, et abbé de St. Ambroise, lui confia l’éducation de ses neveux, et lui fit obtenir, par le crédit de Marguerite, sœur du roi, une chaire de grec et de latin, dans l’université. Pendant dix ou douze ans qu’il occupa cette chaire, il traduisit le roman grec de Théagène et Chariclée, et quelques Vies des Hommes illustres de Plutarque. François Ier, à qui il dédia cet essai, lui ordonna de continuer l’ouvrage, et lui fit présent de l’abbaye de Bellozane, vacante par la mort du savant Vatable. Désirant, pour le perfectionnement de sa traduction de Plutarque, conférer les manuscrits de cet auteur qui existaient en Italie, il y alla, à la suite de l’ambassadeur de France à Venise. Odet de Selve, successeur de cet ambassadeur, et le cardinal de Tournon, résident à Rome, le chargèrent de porter au concile, assemblé de nouveau à Trente, une lettre du roi Henri II, contenant une protestation courageuse contre quelques décisions du concile. Sans caractère public, sans lettres de créances, il s’acquitta de cette mission en homme également ferme et adroit. Il eut le plaisir de donner une petite leçon de latinité aux pères du concile, dont l’orgueil, ou plutôt la malveillance, s’offensait de ce que le roi, dans sa lettre, avait donné à leur assemblée, au lieu du nom de concilium, celui de Conventus, qui, en latin moderne, signifie couvent. Il leur représenta que, dans les bons auteurs, Conventus ne voulait dire autre chose qu’assemblée, réunion, concile, en un mot. « Je ne sais, dit-il, dans une lettre où il rendait compte de sa mission, je ne sais s’ils avaient peur que le roi ne les prit tous pour des moines. » Le cardinal de Tournon, charmé son savoir et de son habileté en affaires, le ramena à Paris, et, apprenant que le roi cherchait un précepteur pour ses deux fils, lui proposa Amyot, qui fut agréé. Durant le cours de cette éducation, il termina sa traduction des Vies des hommes illustres, de Plutarque, qu’il dédia à Henri II, et commença celle des œuvres morales de cet écrivain, qu’il n’acheva que sous le règne de Charles IX, son élève, à qui il en fit pareillement l’hommage. Le lendemain même de son avènement, Charles IX le nomma son grand aumônier. La reine mère, Catherine de Médicis, qui destinait cette place à un autre, entra en fureur, fit appeler Amyot, et lui dit : « J’ai fait bouquer les Guise et les Chàtillon, les connétables et les chanceliers, les rois de Navarre et les princes de Condé, et je vous ai en tête, petit prestolet ! » Elle lui déclara qu’il ne vivrait pas vingt-quatre heures, s’il ne renonçait à la charge. Il se cacha, et laissa passer plusieurs jours sans paraître à la table du roi. Ce prince, soupçonnant sa mère d’avoir fait à Amyot plus que des menaces, entra en fureur à son tour, et s’écria : « Quoi ! parce que je l’ai fait grand aumônier, on l’a fait disparaitre ? » La reine, pour apaiser son fils, fut obligée de faire chercher Amyot, à qui elle donna toutes les sûretés qu’il put désirer. On est forcé de convenir que le récit de cette querelle entre la mère et le fils n’a d’autre garant que St-Réal. Le siége d’Auxerre étant venu à vaquer, le roi y nomma son maître (tel est le titre qu’il donnait à Amyot). Celui-ci, prenant possession de son épiscopat, se fit rendre, avec fermeté, mais sans hauteur, tous les honneurs, tant ecclésiastiques que seigneuriaux, attachés à son siége. Il contribua d’assez bonne grâce, malgré sa parcimonie, à restaurer et à orner de nouveau l’église cathédrale, que les huguenots avaient profanée, et surtout pillée. Il avoua que, n’ayant encore étudié que les auteurs profanes, il n’était ni théologien, ni prédicateur ; il se mit à lire l’Écriture et les Pères, eut de fréquentes conférences avec des docteurs, et se hasarda, enfin, à prêcher devant son troupeau. Son autre élève, Henri III, étant parvenu au trône, lui conserva la grande aumonerie, et y ajouta le titre de commandeur de l’ordre du St-Esprit, qu’il venait de créer, voulant qu’à sa considération, tous ses successeurs dans cette charge y réunissent la même prérogative. Amyot se trouvait à Blois, lorsque le duc de Guise y fut assassiné. Un gardien des cordeliers d’Auxerre souleva contre lui toute cette ville, qui était du parti de la ligue, en soutenant qu’il avait su, et même conseillé le meurtre. N’ayant osé se rendre à Auxerre que quelque temps après, il fut pillé en route par les ligueurs ; arrivé, il courut de grands dangers : on lui tira des coups d’arquebuse, et on lui mit le pistolet sur la poitrine. Il fut obligé de se faire donner une absolution en forme par le légat, et tout rentra dans l’ordre. C’est à ce sujet que le président de Thou l’accuse d’ingratitude et d’infidélité envers Henri III. Il paraît justifié de ce reproche par tout ce qu’il eut à souffrir de la part des ligueurs, comme trop attaché à la cause du roi. Ce ne fut véritablement qu’après la mort de Henri III, qu’en quelques occasions, il se montra favorable aux projets de la ligne. Du reste, il passa ses dernières années dans son diocèse, uniquement occupé de l’étude et de l’exercice de ses devoirs. Il mourut à Auxerre, le 6 février 1593, dans sa 80e année. Quoiqu’il se fût plaint d’avoir été ruiné par les troubles civils, il laissa, dit-on, en mourant, plus de 200,000 écus. Il passe pour avoir été, à la fois, avide et parcimonieux. Il demandait une nouvelle abbaye à Charles IX, qui lui en avait déjà donné plusieurs. « Ne m’avez-vous pas assuré autrefois, dit le roi, que vous borneriez votre ambition à 1,000 écus de rente ? — Oui, sire, répond-il, mais l’appétit vient en mangeant. » Personne n’a rendu plus de services que lui à la langue française. Un homme à qui elle doit aussi beaucoup, Vaugelas, a dit : « Quelle obligation ne lui a pas notre langue, n’y ayant jamais eu personne qui en ait mieux su le