Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 16.djvu/81

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qui se rapporte au magnétisme. « Instruits par l’expérience de notre première ascension, dit-il, nous avons fait quelques changements à nos instruments : et d’abord, pour que les oscillations de l’aiguille horizontale fussent moins affectées par la rotation du ballon, nous en avons fait construire une nouvelle de quinze centimètres de longeur seulement. Par là, ses oscillations étant beaucoup plus rapides que celles du ballon, il devait être plus facile d’en bien déterminer la durée. La boussole de déclinaison a reçu aussi quelques améliorations ; mais nous avons fait de plus grandes modifications à l’aiguille d’inclinaison. Sa chape métallique a été suspendue à un fil de soie plate ; et pour juger plus promptement de l’inclinaison, on a fixé à cette chape une portion de cercle transparent sur lequel sont tracées des divisions. L’aiguille, qui avait été aimantée par Coulomb et vérifiée par lui, donnait une inclinaison de 70°,5 de la division ordinaire. Dans une de ses positions, qui était celle où elle devait rester, elle indiquait 31° sur le cercle transparent[1]. » Un thermomètre centigrade à mercure, deux hygromètres, deux baromètres dont il suffisait d’observer le niveau supérieur, deux ballons en verre et un ballon en cuivre jaune, tous les trois vides à un millimètre près : tels étaient les moyens d’investigation préparés d’avance avec tous les soins que permettait alors l’état de la science. — Parvenu à la hauteur de 3 032 mètres, il commença à faire osciller l’aiguille horizontale, et, quoique le ballon fût toujours soumis au mouvement de rotation, il put mesurer la durée de vingt, trente et même quarante oscillations. À cette hauteur, dix oscillations duraient quarante et une secondes et demie ; à la dernière observation, c’est-à-dire à 6 977 mètres, elles duraient quarante-et-une secondes sept dixièmes. Tous les autres nombres obtenus entre ces limites ne diffèrent pas assez du nombre obtenu à terre, quarante-deux secondes un sixième, pour admettre un changement appréciable dans l’intensité magnétique : leurs différences, en divers sens, peuvent raisonnablement être attribuées aux difficultés de l’expérience elle-même. À la hauteur de 3 865 mètres, Gay-Lussac trouva que l’inclinaison de l’aiguille, en prenant le milieu de l’amplitude de ses oscillations, était sensiblement 31° sur le cercle transparent, ce qui répondait par conséquent à 70°,5 comme à terre. Il lui fut impossible de recommencer ailleurs cette mesure. Mais aux deux hauteurs de 4 511 et de 6 107 mètres, il reconnut, ce qui avait été reconnu déjà dans l’autre voyage, qu’une clef agissait sur une petite aiguille aimantée et s’aimantait promptement elle-même, comme sur terre. La question soulevée par Saussure, seize ans auparavant, pouvait donc paraître résolue presque définitivement et l’assertion de Robertson réduite à néant, puisqu’il était prouvé que l’action magnétique de la terre se montrait sensiblement la même jusqu’à près de 7 000 mètres de hauteur. Seulement, Gay-Lussac n’avait pu soustraire ses boussoles aux changements de température qui se produisaient autour de lui, changements qui dépassaient trente-sept degrés. Il est vrai que, d’après ce que l’on sait, même aujourd’hui (1856), ces changements successifs et lents sur les boussoles ne peuvent pas avoir eu une bien grande influence sur la durée des oscillations ; mais pourtant, c’est là que peuvent se réfugier ceux qui aiment à dire : adhuc sub judice lis est! — Les autres observations faites en commun complètent l’intéressant mémoire de M. Biot. Elles se rapportent à l’accroissement de l’électricité atmosphérique avec les hauteurs ; à une diminution de la température moins rapide qu’on n’aurait pu le présumer ; à la marche accélérée de l’hygromètre vers la sécheresse ; à quelques expériences curieuses sur le vol d’une abeille, d’un verdier et d’un pigeon, mis en liberté la première à 2 622 mètres, les autres à 5 400 mètres de hauteur ; enfin, à la faible influence de la rareté de l’air sur les voyageurs eux-mêmes, qui n’éprouvèrent d’autres inconvénients qu’une accélération bien prononcée dans les battements du pouls. Mais lorsque Gay-Lussac arriva seul, à 7 016 mètres au-dessus du niveau de la mer, sous une pression de moins de trente-trois centimètres, et à neuf degrés et demi au-dessous de zéro, il sentit en outre sa respiration sensiblement gênée et son gosier très-sec. — Dans les tentatives faites par M. de Humboldt et par M. Boussingault, pour atteindre le sommet du Chimborazo, on sait que leur ascension fut arrêtée presque autant par les souffrances corporelles que par des obstacles matériels insurmontables. « Après que nous eûmes « dépassé 17 500 pieds (5 684 mètres), nous commençâmes tous, dit M. de Humboldt, à nous trouver très-mal à notre aise : l’envie de vomir était accompagnée de quelques vertiges et bien plus pénible que la difficulté de respirer. Nos gencives et nos lèvres saignaient, la tunique conjonctive de nos yeux était gorgée de sang. On avait au reste depuis longtemps reconnu que tels sont en général les symptômes douloureux du mal des montagnes, qu’on peut comparer au mal de mer. Si donc Gay-Lussac, observateur sûr et extrêmement exact, ne rendit pas de sang à 21 600 pieds de hauteur, il faut peut-être l’attribuer à l’absence de tout mouvement musculaire. » En effet, suivant Saussure, et d’après sa propre expérience, un mouvement musculaire qui n’aurait produit qu’une lassitude médiocre dans un air ordinaire produit dans un air très-rare des incommodités insupportables. Quant aux observations résultant spécialement du voyage de Gay-Lussac, elles se trouvent réunies dans un tableau placé à la fin de sa relation. On y

  1. La note d’Arago, p. 14 du 3e volume de ses œuvres, est le risultat d’une singulière distraction causée peut-être par la phrase un peu obscure du mémoire de Gay-Lussac. Il faut considérer cette note comme non avenue.