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février 1602, Goes se rendit à Agra, où le Grand Mogol, approuvant son dessein, lui donna non seulement des lettres pour divers petits rois, ses amis ou ses tributaires, mais aussi une somme d’argent pour les frais de son voyage. Goes entendait parfaitement la langue persane, et connaissait les usages des mahométans ; ce qui le rendait très-propre à la mission qu’on lui confiait. À Lahor, où il arriva le 15 décembre, il se réunit à une caravane de marchands persans qui partaient tous les cinq ans pour la Chine, avec la qualité d’ambassadeurs de leur souverain, afin d’avoir plus de facilité pour le commerce. Il se vêtit en marchand arménien, et prit le nom d’Abdallah, auquel il joignit celui d’lsaïe, pour marquer qu’il était chrétien : ce déguisement lui était nécessaire pour obtenir la liberté du passage, qu’on ne lui eût pas accordée s’il eût été reconnu pour Portugais. Il avait déjà acheté diverses marchandises de l’Inde pour se procurer par des échanges tout ce qui lui serait nécessaire dans sa route. On lui donna pour compagnons deux Grecs, l’un prêtre et l’autre marchand ; il laissa quatre mahométans convertis qu’on avait déterminés à le suivre, prit à leur place un Arménien nommé Isaac, et partit de Lahor en 1605. Ayant, après cinq mois de marche, rencontré à Caboul une princesse, sœur du roi de Kaschgar, qui revenait du pèlerinage de la Mecque, et qui commençait à manquer d’argent, il ne fit pas difficulté de lui en prêter, en refusant d’en tirer le moindre intérêt : elle ne fut pas ingrate ; car elle l'appuya plusieurs fois de sa recommandation, et le remboursa en pièces de marbre, marchandise la plus précieuse que l’on pût porter au Cathay. Les deux Grecs le quittèrent. La caravane fut attaquée par des brigands. Isaac manqua de se noyer ; Goes perdit six chevaux dans un chemin périlleux ; enfin on entra dans Hiarkan, capitale du Kaschgar, au mois de novembre 1603. Goes fut présenté au roi, qui lui donna des lettres de protection ; et après un séjour de près d’un an dans cette ville, il en sortit avec une nouvelle caravane composée d’habitants du pays, dont on lui avait bien recommandé de se défier. A Chalis, ville dépendante du khan de Kaschgar, et gouvernée par un de ses fils, il vit arriver une caravane qui revenait du Cathay. Les marchands racontèrent à Goes que s’étant, suivant leur usage, attribué la qualité d’ambassadeurs, ils avaient pénétré jusqu’à la capitale, et avaient habité pendant trois mois avec le P. Ricci et les autres missionnaires jésuites. Goes apprit enfin par ce récit que le Cathay était la Chine, et que Cambalu était Pékin. Comme le bacha de la caravane s’obstinait à vouloir rester à Chalis, pour que le nombre des voyageurs s’accrût, Goes obtint du vice-roi la permission de partir, ainsi que des lettres de protection, et se mit en route avec Isaac et un petit nombre d’autres voyageurs. Les chemins étaient infectés de brigands : souvent on ne mar

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chait que la nuit pour les éviter. Dans une de ces marches nocturnes, Goes étant tombé de cheval, ses compagnons arrivèrent au gite sans lui. Isaac retourna heureusement sur ses pas, et trouva son maître dans un état très-dangereux. Enfin on atteignit un fort de la grande muraille de la Chine. Après avoir attendu vingt-cinq jours la permission du gouverneur de la province de Chen-si pour entrer dans l’empire, on arriva dans un jour à Socheou ; c’était vers la fin de 1605. Goes se trouvait riche des fruits de son commerce, durant une si longue route. Il écrivit au P. Ricci pour lui annoncer son arrivée. Mais l’adresse de ses lettres était en caractères européens, et les Chinois qui s’en chargèrent, ne connaissant ni les noms chinois des jésuites, ni leur logement à Pékin, ne purent les remettre. L’année suivante, Goes écrivit encore : cette fois, ses lettres, confiées à un mahométan, parvinrent Pékin au mois de novembre. Les missionnaires, qui l’attendaient depuis longtemps, lui expédièrent un Chinois chrétien nommé Ferdinand. Celui-ci fut volé en route et abandonné par son valet. Il eut bien de la peine à se trainer jusqu’à Socheou, où il trouva Goes mourant. Cet infortuné missionnaire reçut quelque consolation des lettres de ses confrères ; mais onze jours après l’arrivée de Ferdinand, il succomba à ses chagrins et à ses fatigues le 18 mars 1606. On soupçonna les mahométans de l’avoir empoisonné, surtout quand on les vit, aussitôt après sa mort, mettre la main sur tout ce qu’il avait laissé. Ils firent même emprisonner Isaac. Ferdinand ne se laissa pas décourager par les mauvais traitements. Il vendit jusqu’à ses habits pour soutenir un procès qui dura six mois ; enfin on lui restitua les effets de Goes : mais il ne s’en retrouva qu’une petite partie ; la plupart des papiers furent perdus. Ferdinand et Isaac arrivèrent heureusement à Pékin. Après un séjour d’un mois, ce dernier fut envoyé à Macao. Il s’y embarqua pour l’Inde, fut pris et dépouillé par les Hollandais. Les Portugais de Malacca le rachetèrent. La nouvelle de la mort de sa femme lui fit perdre le désir de retourner dans le Mogol ; il s’établit à Chaul. Il y vivait encore lorsque le P. Trigault écrivit son Histoire de la Chine. Isaac avait remis au P. Ricci ce qui restait des papiers de Goes, et lui avait raconté les particularités du long et pénible voyage de ce zélé missionnaire. Ce fut sur ces renseignements que le P. Ricci en écrivit la relation. On conçoit qu’elle doit être très-fautive sur tous les points ; ce qui fait vivement regretter la perte du journal de Goes, puisqu’il avait parcouru des pays que depuis lui aucun voyageur européen n’a visités. Néanmoins les détails informes de ce voyage si long et si périlleux attachent par leur singularité. Ils donnent l’idée la plus avantageuse du caractère de Goes, et contiennent des notions intéressantes sur plusieurs peuplades et sur divers lieux de la grande Tartarie. Ce curieux ouvrage se trouve dans les